William Hogarth, peintre anglais du XVIIIe siècle, est passé à la postérité pour ses talents de graveur et de satiriste. Le qualificatif de « caricaturiste de mœurs » lui est resté, suite à ses attaques virulentes mais non dénuées d’humour sur les problèmes de son temps. L’alcoolisme, la prostitution, l’injustice ou encore la politique des Whigs figurent au rang de ses nombreux sujets.
Graveur de formation, il cherche pourtant à s’imposer dans le milieu artistique en tant que peintre. Ses peintures qu’elles soient de nature historiques ou des portraits ne rencontrent pas autant de succès que celles satiriques de ses autres œuvres et gravures. Nous remarquerons d’ailleurs que ses gravures les plus célèbres sont d’abord peintes puis seulement après, gravées ; c’est notamment le cas avec la série Mariage A-la-mode, peinte en 1743 et gravée vers 1744.
L’esthétique de la peinture d’Hogarth repose sur une minutie de détails et de symboles, insérés comme autant d’indices nécessaires à la compréhension de l’histoire, mais seulement accessibles à l’observateur attentif. Cette attention tournée vers le symbole inspirera notamment l’école préraphaélite. Le peintre introduit une fonction éthique à sa peinture, notamment en nommant ses séries sous le titre général de « Modern Moral Subjects », qui traduit par extension sa volonté de réformer la société. Outre cet intérêt moral et social, le mouvement, est un des traits remarquable de sa peinture qui lui vaut le qualificatif de « tableau vivant », dans le sens ou le spectateur s’attend à voir s’animer les personnages, dans nombreuses de ses planches l’action est d’ailleurs figée à un point culminant. Le mouvement du rococo est à son apogée pendant la carrière d’Hogarth, et ses compositions témoignent de l’influence de ce style sur sa peinture. Une attention toute particulière est apportée aux modèles féminins, que se soit dans la posture, l’habit, les plis du vêtement et ce sont souvent les personnages les plus expressifs. Les compositions sont riches, tant par la quantité de personnages (nombreux mais ne donnant par pour autant une impression de chaos) que par la qualité du décor ; sa palette est à dominante de couleurs chaudes et plus particulièrement de rouges et de jaunes.
Ses œuvres les plus célèbres sont surtout des séries, allant de deux à six planches et dans l’ordre chronologique : Harlot’s Progress (1731), Rake’s Progress (1735), Mariage A-la-mode (1742), Beer Street et Gin Lane (1751).
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Mariage A-la-mode paraît après Harlot’s Progress et Rake’s Progress, et prend pour sujet la haute société britannique contrairement aux deux autres séries citées. Peinte entre 1742 et 1743, puis gravée entre 1743 et 1745, cette série de tableaux est exposée à la National Gallery de Londres. Elle est qualifiée de « peinture narrative » ou encore de « roman muet » par rapport à l’histoire qu’elle raconte en image. Elle met en scène personnages et situations comme autant d’acteurs dans une pièce de théâtre; William Hogarth écrivit à propos de cette série :
« Subjects I consider’d as writers do my picture was my stage ans men and women my actors who were by means of certain actions to exhibit a dumb shew »
« Subjects I consider’d as writers do my picture was my stage ans men and women my actors who were by means of certain actions to exhibit a dumb shew »
Inspiré par la comédie de John Dryden : Mariage A-la-mode, écrite en 1663[1], racontant les amours contrariés de deux couples ; Hogarth récupère à la fois le titre et l’intrigue du mariage pour en faire une série de tableaux en résonnance avec les mœurs de l’époque et la thématique du mariage arrangé qu’il appelle ironiquement une « Variety of Modern Occurrences in High-Life».
Mariage A-la-mode est composé de six tableaux (ou planches pour les gravures), chacune racontant/décrivant le désastre qui découle d’un mariage arrangé entre un aristocrate désargenté et la fille d’un riche marchand. Cette série se veut un avertissement sur les conséquences engendrées par pareille union, c’est-à-dire un mariage d’argent mais aussi d’ambition personnelle. Ainsi, le marchand en faisant en sorte que sa fille se marrie au-dessus de son rang, accède à l’échelon social supérieur ; le comte Squanderfield, lui, est ruiné et compte sur la dot de sa belle-fille pour résoudre ses problèmes d’argent. Le choix du titre en français n’est pas anodin, puisque sous-entendant la futilité d’un tel mariage « à la mode» ; Hogarth souvent dépeint comme francophobe et le titre pourrait tout aussi bien laisser transparaitre son dédain pour les personnages au travers du choix de la langue française.
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Tableau 1: The Mariage Settlement |
The Mariage Settlement, est le premier tableau de la série Mariage A-la-mode. Il instaure le point de départ de l’histoire. Les personnages sont présentés et la situation de chacun est on ne peut plus claire. La fille du riche marchand et le jeune aristocrate vont être mariés, comme le symbolisent le mouchoir passé dans l’alliance. C’est une union sans amour : les deux jeunes gens se tournent le dos et la position familière de l’avocat (Silvertongue), penché vers la jeune femme, indique la possibilité d’une relation amoureuse. La présence d’une tache noire dans le cou du jeune comte est un indice quant à sa condition physique, il est probablement atteint de syphilis; elle indique aussi son caractère volage. Le miroir dans lequel il s’admire, souligne sa frivolité. Le comte Squanderfield pointe fièrement du doigt son arbre généalogique, symbole de sa haute lignée. Cependant, on peut apercevoir par la fenêtre l’arrêt de la construction de sa maison, l’un des personnage lui tend d’ailleurs un papier sur lequel est écrit « Mortgage », en français une hypothèque : le comte est ruiné.
Hogarth souligne l’imprudence de ce mariage et prophétise son échec: les deux chiens enchaînés ensemble (en bas à gauche) symbolisent ce mariage forcé, la position des deux jeunes gens montre d’ailleurs leur réticence. Une tête de Méduse (en haut à gauche) pourrait représenter l’horreur du peintre face à un tel mariage.
La critique et la satire sociale prennent le relais sur l’avertissement : l’observateur est induit à émettre un jugement de valeur sur les deux pères. Le comte souffre de la goutte (mal fréquent au XVIIIe siècle, souvent associé à l’époque à l’alcoolisme), sa béquille et son pied bandé le signale ; la goutte est une maladie considérée comme « comique[2]». Il brandit son titre aristocratique comme une bannière : l’arbre généalogique, ses habits et les tableaux de maître à l’arrière plan corroborent son désir de grandeur et son statut social. Il est l’image même de l’arrogance aristocratique. Le marchand quant à lui préfère acheter son ascension sociale plutôt que de travailler pour y accéder. Les deux pères vendent littéralement leurs enfants : l’un pour l’argent, l’autre pour un titre.
L’Art du temps d’Hogarth, tout comme la société, est soumis à une hiérarchie, qui évalue aussi bien sa valeur artistique que sa valeur marchande. Ainsi, le tableau historique vient en premier, suivit du portrait, de la peinture de genre, du paysage et de la nature morte. On observe dans la plupart des tableaux qui composent Mariage A-la-mode, un arrière-plan partiellement ou entièrement (comme en figure 1) composé de tableaux. Ils symbolisent à la fois la richesse du propriétaire et sa place dans la hiérarchie sociale : les tableaux d’histoire et le portrait de Jupiter dans le salon de Lord Squanderfield le définisse comme faisant parti de l’aristocratie.
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Tableau 2: The Tête à Tête |
Le deuxième tableau intitulé The Tête à Tête, est une vision du couple après le mariage, qui s’avère bel et bien désastreux. La maison en désordre et le tableau du cupidon assis dans des ruines (au-dessus de la cheminée) illustrent cet état de fait : l’amour n’a pas pris et était de toute évidence voué à l’échec. L’épouse qui s’étire, vient juste de finir une partie de cartes (elles sont éparpillées par terre), le mari quant à lui rentre certainement d’une maison close ou de chez sa maîtresse où il a passé la nuit : un bonnet de femme (reniflé par le chien) dépasse de sa poche. La tache noire est toujours en place, et on ne peut pas manquer de remarquer son air pâle et maladif. Le couple vit au-dessus de ses moyens ou dilapide sa fortune comme le montre le serviteur qui, levant les yeux et une main au ciel, tient un paquet de factures impayées.
Cette scène apporte des réponses concernant le comportement des deux mariés, chacun s’adonnant aux vices de sa classe sociale. Le nouveau comte, s’adonne aux plaisirs charnels et visite les prostituées. Sa femme dans le quatrième tableau, The Toilette, se prétend « lady », et organise une réception dans sa cambre à coucher en compagnie de personnages plus grotesques les uns que les autres. Sa liaison avec l’avocat Silvertongue est révélée dans cette scène par la familiarité de leurs positions respectives, par l’invitation de celui-ci à un bal masqué (il pointe le tableau d’un bal masqué derrière lui) et par le tableau en arrière plan représentant Jupiter et Io. A Chaque vice correspond cependant une rétribution, ce que les prochains tableaux vont illustrer.
[1] Cette comédie de mœurs est représentée pour la première fois en 1673 à Londres, par la King’s Company.
[2] Maladie « comique » car caricaturale d’un mode de vie et d’un type de personne, et présente dans de nombreuses caricatures de l’époque.