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Kitsune, un modèle mi-femme mi-renarde

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Kitsune est modèle photo depuis longtemps, et possède un charme mutin qui fait sans doute son succès dans le milieu photographique parisien. Elle choisit ses collaborations avec soin et ces dernières sont très diversifiées : nu artistique, onirisme, portrait, tout lui va ! Kitsune est une modèle discrète, qui pose par pur plaisir, et qui a eu la chance de poser pour d'excellents photographes : Goldensilk, Isaure Anska, ou encore Eric Marrian. Voyons donc ce que la petite renarde a à nous dire !

par Mizuko

~ Bonjour Kitsune ! Qui ce cache derrière ce pseudonyme ?

Bonjour Faunerie. On commence par la question la plus difficile, c'est ça ? (rires). Et bien derrière ce pseudo il y a Pauline, petit brin de fille de 27 ans. Normande d'origine et parisienne d'adoption. Pour parler un peu de moi, je suis accro au thé, à la musique, à la lecture et aux voyages. D'après mes proches je suis dynamique, spontanée mais aussi exigeante et maniaque. Et je partage donc ces traits de caractère avec Kitsune, née en 2007.

par Sommeil Paradoxal

~ Comme ton pseudonyme l'indique, le renard semble être ton animal totem. Pourquoi ?

Oui, kitsune en japonais désigne le renard. Pour l'anecdote, je venais tout juste de commencer la photo et je cherchais à dissocier mon activité photo de ma vie perso. Mon frère qui venait tout juste d'emménager à Tokyo m'a demandé de lui envoyer quelques photos de moi pour les montrer à ses amis japonais. Parmi les photos, il y en avait une issue de ma toute première séance avec François Minh, une image immortalisant l'une de mes innombrables grimaces :) Les amis de mon frère lui ont dit que j'avais une petite tête de renard dessus. Lorsque j'ai entendu le terme "kitsune"ça a fait tilt... J'aimais le mot et les images associées à cette petite bête. Ce pseudo s'est imposé de lui même. 
Depuis, l'image du renard me suit. C'est presque devenu une monomanie (rires). J'ai des bijoux renard, des tasses renard, des peluches renard, une écharpe renard, des moufles renard, etc. Et le tout est alimenté par mes contacts qui m'envoient régulièrement des liens vers des photos, des vidéos de renards ou des objets les représentant :-)
Je dois avouer que j'adore, toutes ces petites pensées sont adorables et me font immanquablement sourire.

par Hors Cadres

~ Quelle a été ta motivation première pour devenir modèle photo ? Et maintenant, pourquoi continues-tu ?

J'ai mis le pied dans la photo tout à fait par hasard et ma toute première séance aurait dû en rester au stade de l'expérience unique.
Mais au gré des échanges, à l'époque sur Myspace, j'ai eu rapidement l'opportunité de repasser devant l'objectif. Et de fil en aiguille, sept ans plus tard je suis toujours là...
Ma motivation première est la rencontre. Grâce à la photo j'ai croisé le chemin de gens que je n'aurais jamais eu l'occasion de rencontrer dans la vie de tout les jours. Faire de la photo c'est découvrir des personnes, échanger, discuter, créer, être ensemble, etc. J'aime toute cette énergie qui est dédiée à l'élaboration d'une séance. Et j'espère avoir encore beaucoup de photographes à rencontrer :-)

par Goldensilk

~ Tu as de très belles collaborations à ton compte (Insousciance, Sommeil Paradoxal, Goldensilk, Eric Marrian, Martial Lenoir, etc.), lesquelles t'ont le plus marquée ?

Merci beaucoup. Je dit toujours que j'ai eu une chance incroyable en photo : dès mes premières collaborations on trouve les noms de Paul von Borax, Rachel Saddedine, Eric Martin, Goldensilk ou Ernesto Timor... Ils m'ont accordé leur confiance rapidement et je leur en suis très reconnaissante. J'ai eu un book de qualité dès mes débuts, ce qui m'a permis d'approcher d'autres photographes avec de très belles choses à montrer. 
Pour ma part, les séances les plus marquantes sont celles qui ont abouti à des rencontres humaines et à de véritables amitiés. 
Evidemment dans la majorité des cas, une fois la séance passée, la relation photo ne perdure pas plus que ça mais parfois, il y a ce petit quelque chose qui permet à une relation photo d'évoluer vers une relation plus humaine et plus amicale... Et c'est comme ça qu'on se retrouve à poser régulièrement pour un même photographe ou se faire de vrais amis :)  

La poupée de papier, par Leaulevlesara

~ Quelle esthétique privilégies-tu ?

Je suis une touche à tout, j'aime papillonner et je ne privilégie pas d'esthétique en particulier. Je prends autant de plaisir à porter un corset, des talons hauts ou à être recouverte de peinture (rires).
Je ne veux surtout pas m'enfermer dans un style particulier car je sais que je finirai vite par m'ennuyer. Il paraît que je suis dans la catégorie des modèles dits "alternatifs" même si je reste convaincue qu'on ne peut pas me coller d'étiquette. 

par Isaure Anska

~ Tu sembles être à l'aise avec ton corps. Quel est ton état d'esprit lorsque le vêtement tombe ?

Oui, il faut savoir être à l'aise avec son corps, avec soi-même et avec la nudité car le corps est un sacré outil en photo. Je suis à l'aise lors des séances photos car la nudité n'est pas "gratuite" mais aussi parce que je suis exigeante dans mes collaborations et que je sais pour qui je vais poser. Selon le contexte, je perçois le corps comme une toile blanche, un accessoire, un support de travail ou encore de la pâte à modeler. La nudité peut aussi bien être centrale dans la construction d'une image que totalement secondaire, tout dépend la place qui lui est accordée. Mon corps a déjà été sublimé, peint, abîmé, orné ou sali lors de mes séances. C'est dans ces conditions que j'ai pris conscience de mon corps, de ses limites, de ses défauts et de ses atouts. Je ne suis pas mal à l'aise face à la nudité car ce n'est pas cette dernière qui pose problème mais bien la façon dont certains peuvent la percevoir (mais c'est un tout autre débat...).

par Manuel Brulé

~ Qu'est-ce que tu essaies de transmettre via ton image ? En fait, qu'est-ce que tu aimes dans le fait de poser ?

Pour moi, la photo est un univers en effervescence... Il est à la fois enrichissant, dingue, ennuyant, décalé, puant, bizarre, amusant, détestable, extravagant, capricieux et amoureux. Si je peux mettre en avant, à travers mes photos, cette folie, cette ébullition et transmettre des émotions, toucher les gens c'est que j'ai réussi à partager un bout de cet univers dont je fais partie :-)  
Ce monde est riche et m'a permis, comme je l'ai déjà souligné, de rencontrer des gens formidables qui des années plus tard font toujours partie de ma vie. J'ai vécu des situations folles et drôles. J'ai posé dans la neige, dans la boue, dans une boîte, dans des lieux incongrus, dans des lacs, parmi des vaches, dans des champs, etc (liste non exhaustive ^^). Je n'aurai pas eu la chance de vivre tout ça si je n'avais pas eu l'opportunité de faire de la photo. Je m'amuse énormément à jouer les caméléons, à me découvrir, à me redécouvrir. Voilà ce que j'aime dans le fait de poser, il y a toujours de quoi être surpris et de quoi rire...

par Insousciance

~ Dans tes poses, de quoi t'inspires-tu ? Es-tu souvent guidée ?

Oui, il arrive souvent que le photographes ait une idée précise de l'image qu'il souhaite obtenir et dans ce cas là il me guide dans mes poses et m'aiguille tout au long de la séance. C'est là qu'il faut savoir se transformer en pâte à modeler (rires).
Il y a aussi ces séances "carte blanche" durant lesquelles on peut poser au feeling et proposer au photographe ses idées et envies. En échangeant, en testant on parvient presque toujours à obtenir une pose qui plaît aux deux.
Ceci dit, je n'ai pas de source particulière d'inspiration pour mes poses mais on m'a souvent demandé si j'avais fait de la danse car elles sont généralement assez légères, douces et épurées.

Intime soie, par Goldensilk

~ Te sens-tu proche de la nature ? Une séance avec Mizuko montre que tu n'as pas peur de te rouler dans la boue !

J'ai toujours été beaucoup plus à l'aise en extérieur qu'en studio. J'envisage la nature comme un terrain de jeu moins contraignant qu'un fond de studio, du coup j'en profite, quitte à faire des trucs complètement fous comme aller me rouler dans la boue...
Mais je précise aussi que ce genre d'expérience, je ne les réalise pas avec des photographes "inconnus". Il faut une bonne de confiance et d'inconscience pour faire ça (rires). Et travailler sur ce type de séance, aux conditions très particulières, est plus simple lorsque l'on se connait déjà car on sait où sont nos limites respectives. Ce ne sont pas tous les photographes qui peuvent me "maltraiter" comme ça :-)

par Marion Saupin

~ Quels projets aimerais-tu réaliser dorénavant ? 

J'aimerais avoir l'occasion de travailler plus régulièrement avec des équipes composées de stylistes, coiffeurs, maquilleurs... Réunir des personnes et les fédérer autour d'un projet artistique commun est très enrichissant et intéressant comme expérience.
Cependant, je sais que ce type de projet nécessite d'avoir du temps et bien souvent des finances et c'est souvent là que ça ce complique... Ma vie personnelle passant avant la photo, il ne m'est pas toujours facile de tout concilier.

La petite danseuse aux éphélides, par Sidney Kapuskar

~ Enfin, avec qui rêverais-tu de shooter ?

Je crois qu'avec les années, je me suis "assagi". Il n'y a pas de photographes pour lesquels je rêve de poser, juste des gens avec qui j'aimerai collaborer et partager un beau moment de création. Mais s'il faut citer des noms, nombreux sont ceux dont j'admire le travail comme Eric Keller, Daria Endresen, Sophie Thouvenin, Sacha Rovinski, Katerina Plotnikova ou encore Paulina Otylie Surys. Affaire à suivre donc...

Merci Faunerie de m'avoir donné l'opportunité de répondre cette interview. C'est l'occasion pour moi de remercier tous ceux que j'ai rencontrés durant toutes ces années. En espérant qu'il y en ai encore quelques unes :-)

par Tom Spianti


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Le book de la demoiselle : http://www.kitsune.book.fr/

L'enfant des cimetières, par Sire Cedric

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Quatrième de couverture :

Un fossoyeur vivant près d'un cimetière est pris d'une folie hallucinatoire et tue toute sa famille avec un fusil à pompe avant de se suicider. Un adolescent, se croyant poursuivi par des ombres, menace de son arme les occupants d'un hôpital et tue Kristel, une artiste peintre. Plongé dans cette épidémie meurtrière, David, photojournaliste et compagnon de Kristel, décide de mener l'enquête. Avec l'aide d'Aurore, une jeune collègue ambitieuse, et du commandant de police Vauvert, ils vont être bientôt confrontés à l'inimaginable. Meurtres sordides et suicides pour le moins étranges s'enchaînent sous les yeux terrifiés des trois enquêteurs. Nathaniel, aussi insaisissable que maléfique, n'est pas un jeune homme ordinaire... L'enfant des cimetières prend un plaisir manifeste à tuer, à prolonger l'agonie douloureuse de ses victimes. Homme ou démon ? Rien ne semble pouvoir l'arrêter dans son abominable quête. David, qui n'a plus rien à perdre, est prêt à tout pour venger Kristel, quitte à suivre Nathaniel jusqu'en enfer.

L'enfant des cimetières, aussi appelé Alexandre Vauvert - tome 1, est un roman que l’on pourrait qualifier de thriller fantastique, ou thriller surnaturel. En effet, si l’univers où se déroule l’enquête est le nôtre – à savoir en France, et à notre époque – des monstres et autres créatures imaginaires sont également de la partie.

Avant de continuer, je dois vous avouer que c’est mon premier livre du genre, et surtout mon premier Sire Cédric. Je dois également vous avouer que j’ai ouvert ce livre avec pas mal d’appréhension, notamment à cause d’Angemort, que je n’ai pas – encore – lu, mais dont on m’avait parlé avec beaucoup de réserve. Une appréhension en rien dissipée avec la préface de la nouvelle édition dudit roman, où l’auteur se justifie presque d’avoir écrit son livre.

Je dois pourtant admettre que j’ai trouvé L'enfant des cimetières plutôt bon. Après un prologue un peu mystérieux, dont on ne saisit que tout son sens à la fin du roman, l’histoire s’enchaîne dans une succession d’une centaine de chapitres très courts. Je pense que c’est ce mode d’écriture, assez peu courant dans mes lectures, qui donne son rythme et sa profondeur à l’histoire. En effet, il permet de changer de point de vue, de personnage et surtout d’endroit très rapidement et permet de fait, de raconter des événements qui se déroulent en même temps avec une grande facilité.

Au-delà de cette forme d’écriture des plus agréables, l’enquête est plutôt bien construite, sans longueur et crédible dans son déroulement. Les rebondissements sont nombreux et bien amenés. Notons également que l’évolution psychologique des personnages centraux, David et Alexandre, est des plus ‘naturelles’ malgré la rupture avec le rationnel auquel elle est confrontée. J’ai bien conscience que cette dernière phrase vous paraîtra un peu sibylline, mais je m’en voudrais de vous gâcher certaines parties de l’intrigue. Au même titre que je parlais de crédibilité, il s’agit bien sûr d’une crédibilité portée dans l’univers développé dans le roman – et de sa dimension ésotérique prononcée.

Cela dit, tout n’est pas parfait. J’ai trouvé la fin un peu facile, notamment sur la nature du pacte évoqué mais en aucun cas révélé. Nous ne savons pas non plus comment le méchant en a conclu à la nature surnaturelle de Nathaniel, ni comment ce dernier peut l’aider dans son dessein. Je ne parlerais pas de l’évasion digne d’un film hollywoodien. « Des détails » vous allez me dire. Certes, mais qui gâchent un peu les choses.

Cela dit, malgré ces points de détail, je ne peux que vous recommander la lecture de L'enfant des cimetières, parce que j’ai passé un très bon moment avec cette enquête et que l’ajout d’une dimension ésotérique à notre réalité est des plus plaisante. En espérant que la suite soit de la même fraîcheur !

L'enfant des cimetières, Sire Cedric – POCKET 2011

Clara Maeda: Timeless Fashion Designer

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Créatrice française ayant épousé la vie en extrême-orient, Clara Maeda s'inspire autant de l'histoire que des contes et des différentes cultures qu'elle côtoie. Avec la gentillesse et l'ouverture qui la caractérisent, elle a bien voulu nous parler de son parcours.



~ Bonjour Clara ! Merci d'avoir accepté de nous donner de ton temps. La question canonique pour commencer... Qui es-tu ? Peux-tu te présenter un peu ?

Qui suis-je ? Grande question ! Commençons par le plus simple, je m'appelle donc Clara, née Roy, mariée Maeda, j'habite actuellement la majeur partie de l'année au Japon, dans la partie sud du pays, le Kansai, dans une petite ville de campagne de la préfecture de Nara. C'est un endroit très calme, entouré de jardins potagers et d'une grande forêt de bambous, un environnement des plus propices à l'introspection et la création. Malgré tout, en bonne normande que je suis, je m'échappe chaque année des terres nippones dès les premières chaleurs et rentre à Rouen une bonne partie de l'été, afin de continuer à entretenir mes liens avec la France, que ce soit pour des collaborations, des expos, ou des rendez-vous clients.



~ Quel a été ton parcours professionnel, et qu'est-ce qui t'a poussée dans cette voie ?

A l'origine, j'étais plutôt destinée à une carrière musicale, ayant suivi depuis la primaire un cursus spécial à mi-temps avec le conservatoire, où je jouais du violon, suivait des cours de solfège, de chant et d'orchestre. Malgré ma passion bien réelle pour la musique, en entrant dans l'adolescence je me suis vite rendu compte que je préférais garder cette activité comme un plaisir et me tournais vers des voies différentes, mais tout aussi artistiques. On peut dire que j'ai eu la chance de tomber sur des personnes de bon conseil tout au long de mon parcours, que ce soit au collège, tout d'abord, où l'on m'a suggéré de suivre une filière en Arts Appliqués qui s'est avérée parfaitement adaptée à mes besoins, puis au lycée au cours de cette fameuse formation, où j'ai découvert le DMA costumier réalisateur, une vraie révélation ! 
Je ne saurais pas vraiment dire ce qui m'a poussée dans cette voie, bien sûr j'ai toujours eu un goût prononcé pour l'histoire et les périodes plus anciennes que modernes, mais lorsque j'ai entendu parler d'une formation où l'on apprenait à faire des costumes historiques, j'ai juste su en l'espace d'une seconde que c'est ce que je voulais faire, et dès lors j'ai plongé tête la première dans mes études afin d'y parvenir. Ce n'est que quelques années plus tard que je découvrai une photo de famille, où mon arrière grand-père maternel, tailleur de son état, posait devant sa boutique. Ma grand-mère m'expliqua alors que de son côté comme celui de son mari, leurs parents étaient tous tailleurs ou couturières. Je compris alors que ma vocation n'était certainement pas le fruit du hasard, et cette découverte me conforta dans cette voie. Après l'obtention de mon bac STI Arts Appliqués, je me suis donc tournée vers le fameux DMA costumier-réalisateur, mais après une année de prépa et une remise à niveau en couture avec le passage d'un BEP couture floue, je me suis vite rendu compte que je n'aurais pas la force physique de suivre le rythme démentiel du DMA, qui m'aurait obligée de plus à arrêter la musique, chose impensable pour moi. Ayant malgré tout eu de bons contacts lors de mes stages, je continuais de me former auprès d'un ancien de ce fameux DMA, Yann Boulet des "Ateliers du Saule" (maintenant rattaché aux "Vertugadins"), et après quelques mois, je rencontrais grâce à un ami commun Caroline de Volute Corsets, pour qui je commençais à travailler.
L'histoire continua de plus belle pendant trois années, dont une bonne partie dans l'atelier de la fameuse boutique parisienne. Seulement, la vie mis sur mon chemin un beau musicien japonais à l'allure de samouraï, et en 2009 je m'envolais vers le Japon pour m'y marier. Je dû donc quitter à mon grand regret la maison Volute, mais désireuse de toujours continuer sur ma lancée, je créais alors ma propre petite affaire au début de l'année 2010. Ainsi naquit Clara Maeda !



~ Française, tu habites la plupart du temps au Japon et t'inspires beaucoup de ses traditions et de sa culture. Comment arrives-tu à concilier deux cultures aussi diamétralement opposées dans tes créations ? 

C'est vrai que les cultures françaises et japonaises peuvent paraître très éloignées, et soyons honnête, lorsque l'on débarque au Japon sans préavis en tant que petit française, et bien les premières années, on en bave ! Ici il faut privilégier le "nous" plutôt que le "je", savoir s'excuser en permanence (dur dur pour un français !) et surtout, être capable de "lire l'air", c'est à dire être constamment à l'affût de ce qui se passe autour de soi, comprendre une situation et les pensées d'un interlocuteur sans rien dire ou presque à haute voix. Mais une fois que l'on se plonge à corps perdu dans cette pensée nippone, on s'y sent bien, et en revenir est alors difficile ! Au delà de ces différences culturelles de la vie de tous les jours, le Japon et la France ont tout de même un lien très fort depuis la fin du XIXe, l'impressionnisme et le japonisme. La France s'est nourrie du Japon et inversement. Au niveau de l'art et du design en général, ainsi que du vêtement, tout en étant très différents, les deux pays ont tout de même beaucoup de choses en commun, comme l'amour du détail et du savoir-faire. Si encore de nos jours la France adopte de plus en plus le Japon et sa culture pop kawaii, certains mouvements de cette culture comme le Lolita sont eux-mêmes inspirés de la mode française baroque et victorienne. Il y a donc une interaction et un échange constant entre ces deux pays. Malgré tout, il est pour moi indispensable de maîtriser les bases et les traditions avant de s'en emparer et de les moderniser, c'est pour ça que depuis plus d'un an maintenant je prends chaque semaine des cours de Wasai (confection des kimonos) avec une couturière japonaise aussi petite que passionnée par son travail, qu'elle pratique depuis plus de 40 ans maintenant. En parallèle je prends aussi des cours de kitsuke (habillage du kimono) deux arts très difficiles qu'il faut apprendre patiemment et méticuleusement, mais je peux dire que je suis une vraie mordue !



~ Tu ne te limites cependant pas aux traditions de ton pays d'adoption pour t'inspirer, et n'hésites pas à mêler l'intemporalité des contes de fées à des designs plus modernes, à créer des pièces qui évoquent un peu le paganisme, et à changer une princesse en lolita. De fait, ton style semble très éclectique, comment le définirais-tu ? 

C'est vrai que mon style est très varié, c'est certainement dû au fait que j'aime énormément de choses différentes, et que je déteste me cloîtrer dans un seul style et une seule activité, j'aime être toujours en mouvement et aller de l'avant. Je dirais que mon style est avant tout intemporel dans le sens où j'aime moderniser les traditions, et amener une touche d'histoire, d'antique ou de vintage dans les vêtements modernes. Ensuite, je pense que mon style est assez détaillé et travaillé, j'aime créer des vêtements aux nombreuses lignes et découpes, apporter de la matière en mixant différents matériaux et tissus, même sur un camaïeu de couleurs très proches ou avec une teinte unique. Faire une robe dans un seul et même tissu est impensable pour moi ! Enfin, dans la vie je suis quelqu'un très proche de la nature, je troquerais n'importe quel hôtel de luxe pour un beau paysage, mais malgré tout, mon travail du vêtement est très ancré dans la civilisation, j'aime la beauté des tissus riches et des broderies luxueuses, créer des toilettes mondaines… Bref, je navigue entre les siècles, les cultures, la nature et la civilisation. J'aime les opposés qui s'attirent, qui s'entre-nourrissent pour ne former plus qu'un.



 ~ Outre tes collections, tu crées également des pièces sur mesure entièrement uniques. Comment se passent ce genre de commandes ? 

Effectivement une grande part de mes créations est réalisée sur mesure, que ce soit des costumes ou des robes de mariées d'inspiration historique, des créations atypiques issues de mon imagination ou de celles de mes clients. Lorsqu'un ou une cliente me contacte, nous allons d'abord élaborer les grandes lignes du projet, pour quel évènement, quel style ou quelle période, quel budget etc… Ensuite à partir de photos d'inspiration ou de croquis fournis par mes client(e)s, je réalise moi-même un croquis du projet, qui sera modifiable jusqu'à satisfaction des deux parties. En parallèle nous discutons tissus, je fais des propositions en fonction du budget et des gouts de mon client, au besoin, notamment pour les projet de mariage, j'envoies des échantillons. Une fois le projet lancé, vient la prise de mesure, qui se fait soit lors d'un rendez-vous en France, soit par Skype lorsque je suis au Japon. Lors de la confection, il peut y avoir des essayages intermédiaires, en particulier pour les corsets, encore une fois, lorsque je suis en France, l'essayage se fait lors d'un rendez-vous, et lorsque je suis au Japon, par des échanges postaux accompagnés de photos. Enfin arrive la livraison, encore et toujours, soit en personne, soit par via postale avec photos à l'appui. Dans tous les cas, il s'agit d'un processus assez long, je vous conseille donc de me contacter bien à l'avance! Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je vous conseille la lecture de cette page sur mon site.



~ Que souhaiterais-tu dire aux jeunes couturières qui aimeraient t'imiter et tenter de vivre de leur passion ?

Je leurs dirais "foncez" ! Nous sommes d'une génération qui de toute façon connaîtra les galères alors autant que ce soit dans quelque choses que l'on aime ! Un de mes motos, est "ne pas passer sa vie à la gagner", et je pense que c'est quelque chose qu'il faut avoir en tête lorsque l'on se lance dans cette voie, car les débuts seront forcément longs et difficiles, et même après plusieurs années, vivre de sa passion cela veut dire ne pas compter ses heures, faire une croix sur les week end de deux jours et les longues vacances pour peu d'argent au bout du compte, mais à côté de ça, c'est se lever tous les jours de bonne humeur et motivé en sachant que l'on va faire ce que l'on aime. C'est un choix de vie qu'il faut être prêt à faire, suivre et accepter, mais si vous sous sentez d'attaque, allez-y !



~ Ceci est ta tribune, ton mot de la fin. As-tu quelque chose à ajouter ?

Que vous me connaissiez à travers mes collections de robes Lolita, mes robes de mariées ou mes costumes historiques, merci de continuer à me suivre et à m'encourager, vos petits mots m'aident à avancer au quotidien ! Pour ceux qui voudraient me suivre dans ma vie au Japon, notamment dans le monde du kimono, n'hésitez pas à me lire sur mon blog et échanger au travers de commentaires. Enfin, quelque soit votre projet, n'hésitez pas à me contacter pour en discuter, je suis ouverte aux créations les plus simples comme les plus folles !


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Aller plus loin : 

La sirène : origines et évolution

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La sirène et le pêcheur - Knut Ekval

La figure de la sirène, dont les premières représentations datent de l'Antiquité, n'a cessé en tous temps d'inspirer les artistes. Personnage fascinant, elle est dotée de nombreuses qualités : décrite comme d'une beauté rare, possédant un savoir inaccessible aux simples mortels ainsi qu'une voix enchanteresse. Plus qu'une séductrice hors pair, la plupart des récits en font une créature redoutable pour l'homme qui croise son chemin : provoquant la plupart du temps les naufrages de bateaux et le péril de leurs équipages, nous sommes en mesure de nous demander si ce n'est plutôt la raison des hommes que la sirène fait chavirer de ses charmes. Elle se rapproche en cela de la figure de la femme fatale, dont le pouvoir de séduction prend une tel ampleur que le danger n'est jamais bien loin.

La sirène - John William Waterhouse

La sirène - John William Waterhouse

La sirène que nous connaissons aujourd'hui est celle qui nous a été transmise des représentations médiévales. Mais sachons que la sirène apparaît dès l'Antiquité, notamment dans la mythologie grecque.
Les premières mentions écrites d'un tel personnage apparaissent dans l'Odyssée d'Homère. Ulysse  est en effet confronté à plusieurs d'entre elles lors de son périple : celles-ci sont lascivement étendues sur un rocher alors que le héros et son équipage voyagent en mer (Episode d'Ulysse face aux sirènes dans l'Odyssée - Traduction de Marie-Leconte de Lisle). Elles sont ici rendues redoutables par leur voix ainsi que leur savoir.
Bien qu'elles ne soient décrites que de façon assez floue dans les écrits homériques, les sirènes sont représentées à l'époque comme des chimères à corps d'oiseau et à tête de femme : on retrouve nombre de représentations de l'affront d'Ulysse et des sirènes sur des céramiques, par exemple. On retrouve également ces chimères mi-femmes mi-oiseaux dans les Métamorphoses d'Ovide.

Amphore grecque représentant la rencontre d'Ulysse et des Sirènes

Les sirènes - John William Waterhouse
Tableau représentant la rencontre d'Ulysse et des sirènes. L'équipage a de la cire dans les oreilles pour ne pas entendre leur chant. Ulysse est quant à lui ligoté au mât du bateau, afin de pouvoir écouter le chant des sirènes sans se jeter par-dessus bord.

Une autre des origines de la sirène se trouve dans la mythologie scandinave, bien que celle-ci nous laisse peu de matériau pour son étude. Le premier texte y faisant référence a été écrit au  13ème siècle, il s'agit de l'Edda de Snorri Sturluson. Bien que ce semble être un recueil des folklores et mythologies scandinaves, nous ne pouvons être certains que des sources n'aient pas été puisées dans les mythologies celtes.
Cependant, bien qu'elle soit méconnue, c'est à cette sirène scandinave que ressemble le plus la sirène que nous connaissons, celle rendue populaire par le Moyen-Âge.


La sirène - Arnold Böcklin (1887)

Arnold Böcklin (1886)

La représentation de la sirène au Moyen-Âge se trouve essentiellement dans les bestiaires ainsi que sur les façades de bâtisses religieuses.
Les bestiaires sont des répertoires médiévaux où se côtoient animaux exotiques et créatures mythologiques. A côté d'un dessin représentant la créature dont il est question, une brève description est annotée, comportant ses principales caractéristiques. Nombre de bestiaires à caractère chrétien prêtent également aux animaux et créatures mentionnées des propriétés morales, dans le but d'être utilisées pour ses sermons. Mais l'on trouve également nombre de bestiaires laïques où l'ouvrage puise dans une veine davantage didactique, ou même philosophique ou courtoise.
Les déplacements au Moyen-Âge étant plus que limités, il n'est pas totalement saugrenu qu'apparaissent au côté d'animaux exotiques comme l'éléphant ou le rhinocéros des créatures mythiques comme les licornes, les griffons, les dragons ou encore nos chères sirènes. En effet, la matière de ces bestiaires est généralement puisée dans la Bible ainsi que dans les textes et œuvres antiques. Or, ceux-ci présentent aux même côtés animaux réels et figures surnaturelles, la frontière entre toutes ces créatures étant ténue.

Bestiaire d'Amour-Richard Fournival (1250)

Bestiaire de Philippe de Thaon (1125)

On retrouve également des sirènes sur nombre d'édifices religieux bâtis à l'époque romane.
La sirène qui y est représentée a d'abord, dans un phénomène d'inversion, une fonction protectrice : on la retrouve ornant les seuils de nombreux édifices. C'est le cas pour les édifices du Poitou, dont les façades présentent des sirènes de façon récurrente.

Eglise Saint-Ethrope de Saintes, Poitou

Mais conjointement, dans le discours religieux chrétien, la sirène devient peu à peu le véritable symbole de la luxure : corps nu, chevelure abondante, double-queue représentant l'attribut sexuel. Elle devient, en outre, un véritable démon, un symbole du vice, et s'oppose à la vierge et à la femme mariée.

Basilique de Brioude, Auvergne

Cette image très négative de la sirène évoluera avec l'apparition d'un art laïc, et principalement avec l'apparition de la Matière de Bretagne qui met le merveilleux et le folklore à l'honneur même si le fond reste très chrétien (les légendes arthuriennes, apparaissant dès le 13ème siècle, en sont les principales illustratrices ; voir aussi Les Lais de Marie de France qui mettent le merveilleux à l'honneur et regorgent de motifs littéraires fantastiques médiévaux).
L'apparition du fin'amore (amour courtois) à la même époque participe également, bien qu'indirectement, à redorer l'image de la sirène en séparant la gente féminine du statut démoniaque qui lui colle à la peau (voir les ballades romantiques de Guillaume de Machaut, puis l’œuvre féminine de Pernette du Guillet).
Toutes ces évolutions nous permettent de retrouver, bien plus tard, une sirène à l'aspect moins effrayant dans le conte La petite ondine de Hans Andersen (1837).

 














 
The Land Baby - John Collier (1899)










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Quelques poèmes parlant de sirènes :

Le vaisseau d'or, d'Emile Nelligan

Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif:
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève?
Qu'est devenu mon coeur, navire déserté?
Hélas! Il a sombré dans l'abîme du Rêve!

~ ~ ~ ~ 

Les sirènes, Albert Samain 


Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les îlots,
Une harpe d'amour soupirait, infinie ;
Les flots voluptueux ruisselaient d'harmonie
Et des larmes montaient aux yeux des matelots.

Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les rochers,
Une haleine de fleurs alanguissait les voiles ;
Et le ciel reflété dans les flots pleins d'étoiles
Versait tout son azur en l'âme des nochers,

Les Sirènes chantaient... Plus tendres à présent,
Leurs voix d'amour pleuraient des larmes dans la brise,
Et c'était une extase où le coeur plein se brise,
Comme un fruit mûr qui s'ouvre au soir d'un jour pesant !

Vers les lointains, fleuris de jardins vaporeux,
Le vaisseau s'en allait, enveloppé de rêves ;
Et là-bas - visions - sur l'or pâle des grèves
Ondulaient vaguement des torses amoureux.

Diaphanes blancheurs dans la nuit émergeant,
Les Sirènes venaient, lentes, tordant leurs queues
Souples, et sous la lune, au long des vagues bleues,
Roulaient et déroulaient leurs volutes d'argent.

Les nacres de leurs chairs sous un liquide émail
Chatoyaient, ruisselant de perles cristallines,
Et leurs seins nus, cambrant leurs rondeurs opalines,
Tendaient lascivement des pointes de corail.

Leurs bras nus suppliants s'ouvraient, immaculés ;
Leurs cheveux blonds flottaient, emmêlés d'algues vertes,
Et, le col renversé, les narines ouvertes,
Elles offraient le ciel dans leurs yeux étoilés !...

Des lyres se mouraient dans l'air harmonieux ;
Suprême, une langueur s'exhalait des calices,
Et les marins pâmés sentaient, lentes délices,
Des velours de baisers se poser sur leurs yeux...

Jusqu'au bout, aux mortels condamnés par le sort,
Choeur fatal et divin, elles faisaient cortège ;
Et, doucement captif entre leurs bras de neige,
Le vaisseau descendait, radieux, dans la mort !

La nuit tiède embaumait...Là-bas, vers les îlots,
Une harpe d'amour soupirait, infinie ;
Et la mer, déroulant ses vagues d'harmonie,
Étendait son linceul bleu sur les matelots.

Les Sirènes chantaient... Mais le temps est passé
Des beaux trépas cueillis en les Syrtes sereines,
Où l'on pouvait mourir aux lèvres des Sirènes,
Et pour jamais dormir sur son rêve enlacé.


* * *



Variations autour de Sappho : partie 2

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La Loreley, de Guillaume Appolinaire :

À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer 
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries 
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits 
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley 
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge 
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain 
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon coeur me fait si mal il faut bien que je meure 
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblant
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
la Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve 
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

~ ~ ~ ~ 

Sappho, Gustav Klimt.

Sapho ou la poésie lyrique, Alphonse Osbert.

Sapho, Fernand Khnopff

~ ~ ~ ~ 

Sapho, de Alphonse de Lamartine :

L'aurore se levait, la mer battait la plage ;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de Lesbos
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :

Fatal rocher, profond abîme !
Je vous aborde sans effroi !
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi !
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui !

On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire !
On échappe au courroux de l'implacable Amour ;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire !
Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours !
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux !
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux !
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices !
Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de Lesbos !

Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus ;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus !
Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre !
Non: jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas !
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas !
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au loin, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux !
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents !
Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière !
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère !
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur !
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse !

Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos !

Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher !
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher !
S'il eût été du moins attendri par mes larmes !
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux !
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie !
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie !
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers !
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour !
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières !
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux ,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux !
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie !
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers !
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.

Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi !
Que m'importe ce nom et cette ignominie !
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie !
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour'
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats ;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir,..
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir !

"Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
"Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
"Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi,
"Seule me laissera veillant autour de toi !
"Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
"Assise à tes côtés durant la nuit entière,
"Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
"Je charmerai ta peine en attendant le jour !

Je disais; et les vents emportaient ma prière !
L'écho répétait seul ma plainte solitaire ;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots !
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos !

Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire!
Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui !
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste !
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris !
Et que de mes tourments nul vestige ne reste !
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers !
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre !
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière !
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom !

Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort ?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice ?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer !
Qu'ai-je dit ? Loin de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ;
Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime!...
Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de Lesbos
Une clameur lointaine a frappé les échos !
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière !
Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras ?...
Mais non ! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au loin sur la terre :
Le chemin est désert !... je n'entends que les flots...
Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos !

Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore !
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours !
Adieu champs paternels ! adieu douce contrée !
Adieu chère Lesbos à Vénus consacrée !
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux !
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance !
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,

Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie !
Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin !
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée !
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel.
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant I'âge au pied de ton autel !

Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux !
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore !

Elle dit, Et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos !

~ ~ ~ ~

Photos de Natalia Kovachevski :







Heathen Harnow, immersion en terres scandinaves

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             Heathen Harnow est un photographe et musicien suédois dont j'ai choisi de vous présenter le travail aujourd'hui, ceci au travers de son EP sorti l'an dernier ainsi que de quelques images choisies.
L'artiste commence à prendre des photos vers 2007, alors qu'il habite dans une campagne suédoise chargée historiquement. En effet, la rencontre de pierres runiques et autres vestiges archéologiques n'y sont pas rares. Après une période de vie citadine où il étudie dans une faculté de musique, Heathen Harnow retourne vers une vie rurale davantage tournée vers la nature et continue, au gré de ballades en forêts, sa collection de photographies, d'abord avec son téléphone portable puis avec un appareil photo plus conséquent. Cependant, il tient à garder pour ses images un aspect très texturé.
Le captureur d'images se dit principalement inspiré par la nature et une certaine solitude puisqu'il se plaît à vivre à 20 mn en voiture de tout village, si bien que les promenades en forêt ne voient pas d'obstacle industriel. Et également par la mythologie scandinave avec laquelle il dit entretenir une relation spéciale puisqu'il vit sur les lieux-mêmes qui l'ont vue naître.
Certains artistes l'inspirent également, tels que l'illustrateur suédois John Bauer (1882-1818) (à qui Les Editions du Faune avaient consacré un article il y a quelques mois !) dans les dessins duquel vivent trolls, lutins et paysages luxuriants ; ou bien le peintre norvégien Theodor Kittelsen (1857 - 1914) dont une des oeuvres, Là-haut sur les collines retentit un clairon, reste bien en mémoire puisqu'elle fait la couverture de l'album Filosofem de Burzum.




 << I want people to experience the true Scandinavian landscape, not by beauty, but by mystery. Beauty in photography have never spoken to me at all. It’s the thoughts that is awoken when you are looking at an artwork that is the most important thing.>>


<< Many people today just see a bunch of trees and plants when they are walking in the forest, but it is so much more than that. It is a realm, a realm of absolute freedom. Full of mysteries and untouched by human hands. >>


~ ~ ~ ~


                  Passons maintenant à l'aspect musical du travail de Heathen Harnow, puisqu'il a sorti en 2013 un EP d'ambient intitulé "Flykt", ce qui signifie "s'échapper". Cela combiné au pseudonyme de l'artiste signifiant "païen", il nous est déjà promis de belles envolées.
L'ambient qu'est celui d'Heathen Harnow associe des instruments scandinaves traditionnels ainsi que des voix calmes, pour donner des mélodies apaisantes et dépaysantes. On peut aisément rapprocher ses créations musicales de celles du projet d'ambient-folk Wardruna, auquel Heathen Harnow dit être très sensible.





* * *


En savoir plus sur l'artiste :
Page facebook
Chaîne YoutubeTumblr

Sources citations :

Amandine Adrien, entre mode et douceur

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Amandine Adrien est une jeune photographe professionnelle basée sur Paris. Son univers mêle mode et douce féminité, mais elle ne dédaigne pas les portraits expressifs et atypiques. Elle a déjà acquis une solide expérience et travaille auprès d'agences comme de particuliers. Je vous laisse découvrir sa sensibilité au travers de cette interview !


~ Amandine, tu as 21 ans et tu es déjà photographe professionnelle, est-ce tu as toujours voulu faire de la photographie ton métier ?

La photographie est quelque chose qui est venu naturellement. Sans vouloir être photographe professionnelle, j'aimais depuis toute petite faire des photos avec l'appareil de mes parents, puis avec mon premier appareil compact, etc. C'est un passion qui me suit depuis très longtemps, donc cette orientation professionnelle est venue comme une évidence lorsque j'ai cherché quoi faire après mon Bac.

~ Tu fais beaucoup de fashion shoots, sont-ce de pures demandes de clients où aimes-tu vraiment ce genre photographique ?

J'aime assez la photo de mode dans la liberté qu'elle permet. On peut y lier son univers personnel avec celui des créateurs pour créer un nouveau monde de fusion. Je réalise des commandes dans ce domaine mais il me sert également à concevoir des projets personnels. Cependant, j'ai assez de mal à rester « enfermée » dans ce style car j'ai aussi besoin de m'évader et d'avoir mon propre univers à côté, d'où le fait que je fasse beaucoup de choses différentes autant dans la mode, le portrait, que la photo conceptuelle...


~ Beaucoup de tes photos ont un coté romantique, où puises-tu ton inspiration ?

Mon inspiration me vient de tout ce qui m'entoure, du monde en général, de mon entourage mais aussi des films que je vois, de la musique que j'écoute. Il y a également une forte part de ressenti personnel : les ambiances de mes photos retranscrivent aussi des émotions et sentiments qui sont en moi. Au lieu de parler pour livrer mon état d'esprit du moment, je le fais passer en image.

~ Tu fais aussi du portrait intimiste, peux-tu nous dire comment tu fonctionnes lors d'une séance pour faire ressortir les émotions du modèle ?

Lors des séances avec des modèles, j'aime les portraits expressifs. Que ce soit à travers la colère, la douceur ou la fragilité, les émotions sont ce que je préfère. Pour commencer, je parle avec le modèle afin qu'il soit à l'aise, et puis je lui demande de jouer un rôle, comme s'il jouait une scène d'un film. Les personnes ont souvent peur de trop se livrer. En jouant un rôle, il leur est plus facile de doser les émotions et donc d'avoir un portrait juste.


~ Quelles sont les différences lorsque tu fais poser un modèle masculin et un modèle féminin ?

Je n'ai pas beaucoup de différences entre ma manière de travailler avec les hommes ou les femmes. Même si je suis plus habituée à travailler avec les femmes, j'apporte toujours mon regard sur la personne sans tenir compte du fait que ce soit un homme ou une femme. C'est l'âme de la personne qui m'intéresse avant tout.

~ Que cherches-tu à transmettre aux spectateurs ?

Je veux que les spectateurs aient quelque chose à dire de mes images, qu'ils ressentent des choses, que mes images leur évoquent des sentiments ou des souvenirs. Peu importe qu'ils aiment ou non, l'important pour moi c'est de ne pas laisser les spectateurs indifférents.


~ Comment choisis-tu tes modèles ? Qu'est-ce qui fait un bon modèle selon toi ?

Je choisis mes modèles au coup de cœur. Ce qui est assez rare je dois l'admettre mais je n'ai aucuns critères particuliers, aucun a priori.  Pour être un bon modèle pour moi, il faut être expressif et savoir jouer la comédie, se mettre dans la peau d'un personnage le temps d'une série d'images ou alors savoir se livrer simplement et le plus honnêtement possible.

~ Quels sont les photographes que tu admires le plus ?

J'admire beaucoup de photographes. Ils sont tous une source d'inspiration pour moi. Je ne saurais en citer que 3 ou 4 car c'est par période et au coup de cœur. Pendant des semaines je vais m'intéresser à des photographes de mode, puis à des photographes de portraits ou des photographes conceptuels...


~ Envisages-tu une exposition ?

Pour le moment je ne prépare pas d'exposition, j'attends d'avoir réalisé un travail que je considérerais assez bon pour être exposé. J'ai plusieurs projets personnels en cours alors peut être que cela aboutira sur une exposition par la suite, l'avenir nous le dira !

~ Quels sont tes projets à l'avenir ?

A l'avenir, mes projets sont de continuer dans la voie où je me suis engagée, de pouvoir vivre pleinement de la photographie et de continuer à faire de belles rencontres dans le domaine artistique en général.



* * *


Pour aller plus loin :

Edouard Dubus, ou la triste joie d'être décadent.

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« Dans les dérèglements du corps, c’est toujours notre âme qui agit, et tourmentée à l’infini où elle voudrait s’amalgamer, entraîne de bourbier en bourbier son misérable compagnon ».
 (Le crépuscule des dieux, Elémir Bourges)

I.                   Monsieur Morphe.

Obscure, la vie d’un décadent se balance et rugit dans le chaos de ses éclats, et se perd nécessairement dans la difformité de son cri.Et si elle paraît  toujours repousser son naufrage en ce qui nous semble un mouvement régulier, rythmé par les saccades du corps et de l’esprit, tous deux à genoux, c’est parce qu’on ne parvient pas à distinguer, peut-être même à imaginer, ce grésillement brutal de l’être qui déchire, sans un trajet vraiment assigné, l’ombre qui rappelle une sorte de convulsion chez ce qui vit. D’une certaine manière, sa vie est toujours déchiffrement. Un chaos de sensations ne s’explique pas ; il est un point, une sphère d’éclats obscurs qui embaume les regards qui viennent s’y planter. Obscure est la vie d’Edouard Dubus, méconnu fondateur du Mercure de France, pantin mort et échoué parmi les chiottes, surement fraîches, de la place Maubert en 1895. Pourtant, il est apprécié de ses contemporains pour son héroïsme dans la consommation de substances  diverses et même loué par Gustave Kahn qui d’habitude ne peut s’empêcher de condamner à peu près toute la vie littéraire de ces années : « Les mages ? Gens très contaminants pour ceux qui les approchent. Il y a un mage sérieux, un seul, c’est Edouard Dubus ».



Mais toujours tu réponds : je n’aime
Que les hauteurs vierges encore,
Je sais bien que mon vain essor
S’y brisera, je pars quand même
(Les ailes folles)
Avec sa sale gueule et son whisky, Dubus appliqua à la lettre le balancement du décadentisme dans une vie qui se berce et se noie sous toutes les poses, tous les spleens et toutes les névroses, toutes les outrances rageuses et autres excès de l’époque. D’ailleurs, c’est peut-être cette frénésie, que son existence porte tragiquement dans chacune de ses respirations,  qui le sauve de la caricature, et le rend touchant tant son échec est humain, et l’excès celui d’un enfant qui se brûle. Dandy, activiste littéraire féru d’occultisme, d’alcool et d’opium,  de morphine mais surtout de poésie (qu’on aimera à penser comme la cause principale), il aura passé des mois entiers en HP avant cette chute qui est la sienne. Laurent Tailhade fait le récit de cette mort impromptue (ou peut-être pas tant que ça) dans la préface des œuvres complètes du poète :
« Le 20 juin 1895, vers 4h de l’après-midi, fut trouvé aux latrines de la place Maubert le cadavre, gisant, d’un inconnu. Mort foudroyante ou syncope ? Les garçons de police, mandés pour le constat, fouillèrent tout d’abord avec minutie chaque vêtement de l’étranger ; ensuite de quoi, prenant garde qu’il respirait encore ; le firent conduire d’urgence à la Pitié. Une seringue de Pravaz, recueillie dans sa poche, ainsi que deux fioles contenant quelques gouttes d’une liqueur amère, donnaient la plus grande vraisemblance à l’hypothèse d’un suicide manqué.
Admis à l’hôpital sans rien que ne dévoilât son identité, l’agonisant de la place Maubert, expirait deux jours après. Il ne s’était point éveillé de la torpeur comateuse ; il n’avait pu fournir, avant l’heure suprême, aucun indice propre à désigner les siens. Dans l’amphithéâtre, la table de dissection attendait sa dépouille, parmi cette foule anonyme de cadavres qui, chaque jour, paient à la Science future une rançon de ‘’chair à faire pauvreté’’ ».
Plein d’affections Il ne peut même s’empêcher de demander, comme dans une sorte d’aveu étonné :
« Ce mystérieux personnage dont les jours s’achevaient d’une manière à la fois si triviale et si pathétique, n’était-ce point un confrère, un artiste faisant gloire de s’adonner à l’opium, au hachisch, à la cocaïne, sans préjudice de l’alcool et autres vulgaires excitants ? »
Et puis, un ami vient l’apercevoir; là c’est la compréhension, la vision d’une chute poussée à son terme, du mouvement immobile :
« Couché sur le marbre hideux, il eut vite fait de reconnaître son collaborateur au Mercure, son ancien ami, le poète Edouard Dubus, mort en la trente-deuxième année de son âge, emporté par la tuberculose, qu’aggravait sinistrement cette bizarre hygiène de poisons. »

II.                 Le temps de la Chute.

C’est l’hiver : plus une rose,
Plus de lyrique névrose
Plus de soleil dans le vin ;
L’amour est un jeu morose ;
Tout est vide, tout est vain.
(Chanson)
Echoué ainsi, comme la baleine (et non pas ici l’albatros) qu’il était mais circulant toujours dans ces rues qui traversent Paris, à trente-deux ans, Edouard Dubus ne laisse derrière lui qu’un seul recueil de poèmes, finalement aussi échoué que lui ; Quand les violons sont partis. S’il n’est pas le bouleversement poétique qu’on aura prêté aux vrais-faux poètes maudits du siècle (qui peut dire encore que Baudelaire, Rimbaud, Verlaine… ont jamais vraiment été maudits ?), du moins détient-il l’authenticité du rêve et la cruelle sensation d’une inéluctable chute :
Tu veux du Ciel, toujours du Ciel,
Et les ailes folles, tu voles
Vers les décevantes idoles
D’un Eden artificiel
(Les ailes folles).
Dernier héritier des Villers et Barbey, Saint Pol Roux et Corbière, ses poèmes portent le désespoir mélancolique d’un siècle qui a vu se rejouer tragiquement, de manière absurde, révolutions et monarchies, empires et républiques, et en chantent l’interminable crépuscule en ces adresses rêvées à la femme idéale qui jamais ne vient :
Mais son âme est un soir d’été pourpre d’éclairs
Retentissant d’un vent d’épouvante, qui brise
Les fleurs falotes et les hauts calices clairs
Epris de ciel limpide et de soupirs de brise
Elle paraît ainsi bien Reine pour ces temps
Enveloppés de leur linceul de décadence
Où toute joie est travestie en Mort qui danse
(III)
On retrouve les échos d’un pantoum de Baudelaire (Harmonie d’un soir) où la disparition perpétuelle du monde en un mouvement de sens effacé devient ici le naufrage indéfini d’un homme et d’un siècle qui tentèrent, tant bien que mal, d’apprendre à lire dans le noir (peut-être jamais sans vraiment le faire) avec leurs langues de feux :
Une flamme jaillit, s’abat, et se redresse,
L’or palpitant s’allie au rose frémissant ;
Une voix d’autrefois hésite en sa caresse,
Cheveux épars, s’incarne en un rêve éblouissant
L’or palpitant s’allie au rose frémissant,
Mille langues de feux se meurent réunies ;
Cheveux épars, s’incarne un rêve éblouissant
On poursuit un vain leurre en folles agonies
Mille langues de feux se meurent réunies ;
L’ombre viendra bientôt envahir le foyer ;
On poursuit un vain leurre en folles agonies
La vision dans la brume va se noyer
L’ombre viendra bientôt envahir le foyer
Un peu de cendre exhale une tiédeur bleuâtre ;
La vision dans la brume va se noyer :
Un pâle papillon bat de l’aile dans l’âtre.
(Pantoum du feu)

III.              Elans nihiliste...

Et toujours désormais, on rêve avec le frisson, on montre les dents quand on sourit, et on refuse la pleine vision en riant d’un rire de Pierrot, mais d’un Pierrot tuberculeux (qui rappelle peut-être le Hamlet de Laforgue). Le rêve de la lumière, on le sait bien maintenant, c’est aussi, toujours et surtout, celui d’une ombre qui se penche, menaçante. C’est pourquoi toute Romance ne peut plus être pure, elle est cynique ; et que tout amour renonce à la tendresse, il est sadique :
J’aimerais bien vous égarer un soir
Au fond du parc désert, dans une allée
Impénétrable à la nuit étoilée ;
Satan semant l'ivraie, Felicien Rops
J’aimerais bien vous égarer un soir
Je ne verrais que vos longs yeux féeriques
Et nous irions, lèvres closes, rêvant
A la chanson languissante du vent ;
Je ne verrais que vos longs yeux féeriques.
[…]
Des papillons voltigeraient dans l’ombre,
Et l’aile folle, effleureraient vos mains
Et votre joue aux fugitifs carmins ;
Des papillons voltigeraient dans l’ombre
Auriez-vous peur ? Aurais-je peur aussi
De vos petits frissons dans vos dentelles ?
Vous conterais-je alors des bagatelles ?
Auriez-vous peur ? Aurais-je peur aussi
Quelle serait la fin de l’aventure ?
Un madrigal accueilli d’airs moqueurs ?
Nous fûmes tant les dupes de nos cœurs ?
Quelle serait la fin de l’aventure ?
(Romance)
Fin du rêve, fin du monde. C’est la chute toujours nouvelle, et qui n’a pas changé. C’est l’adieu aux soupirs et aux baisers :
Au glas du vent, la fleur d’illusion se brise,
Et, comme elle se meurt, dans l’atmosphère grise
De ses yeux mystérieux luisent d’un rire froid
(Sonnet d’hiver)
Et on reconnaît l’ivresse de ces chants d’aurore et de minuit à laquelle tenait tant Nietzsche. Mais que Dubus ait lu Nietzsche ou non, la chose est de peu d’importance. Le principal étant de percevoir ce vertige poétique comme moyen coïncidence parfaite entre le poète/sujet et l’autre, le monde, sous  ce même soleil brisé qu’est celui de la fin de siècle, de la décadence :
Et dès lors, vagabond des ravins,
On aura, comme juste abri des songes vains,
Après les jours de deuil, où planent les désastres,
Les claires nuits d’hiver, où grelottent les astres.
(Mensonge d’automne)
Au bout de la nuit décadente… « le poète lépreux » (Schwob).
« Les chercheurs de paradis font leur enfer, le préparent, le creusent avec un succès dont la prévision les épouvanterait peut-être. »
Baudelaire, Les paradis artificiels.
Au bout de la nuit décadente se tient l’aurore de l’ombre, bercée de vapeurs mortelles. Le poème se piège dans un présent interminable, secoué par la contemplation incessante de la disparition et du vide :
L’or rosé de l’aurore incendie
Les vitraux du palais où se danse
Une lente pavane affadie
La chute de Lucifer, Gustave Doré.
Aux parfums languissants de l’air dense
[…]
On s’en va, deux à deux sans étreinte,
Sans cueillir un lambeau de dentelle
Ecoutant tout rêveur, mais sans crainte,
Le bruit sourd de son cœur qui pantèle.
Pour défaillir, ne faut-il pas qu’on oublie
Le triste éveil d’une ancienne folie ?
Dans la salle de banquet nue et vide
Reste seul un bouquet qui se fane,
Pour mourir du même jour livide
Que l’espoir des danseurs de pavane.
L’éclat falot de la bougie agonise
A l’infini, dans les glaces de Venise
(Aurore)
La douloureuse sincérité qui perçoit le naufrage du monde et des êtres est finalement la trace de l’écriture poétique de Dubus. Face à elle, face à la réalité d’une souffrance absolue, face à son débordement total de sens, et son prolongement incohérent et chaotique dans le corps, le poète morphinomane suit la courbe du temps, et s’effondre avec elle. Si les chercheurs de paradis creusent bien leur enfer, ils ont du moins l’héroïsme du désespoir, acceptant de sombrer avec le monde dont ils parcourent les ruines, que ce soit en crachant une dernière fois ou non à sa face. Ce suicide, toujours quasi-manqué, n’est pas détaché d’une certaine lucidité qui rend possible toute la cruauté d’une vie qu’ils ont choisi de vivre en acte (d’où le pathétique ridicule parfois de leurs naufrages), de se faire la forme sensible de cette plaie qui parcouraient le monde. La religion propose deux cheminements pour atteindre Dieu : la voie sèche qui passe par la connaissance et l’étude théorique, et la voie humide, celle du cœur et des larmes, du mysticisme. Avec Dubus, on voit bien que si le symbolisme est la voie sèche, le décadentisme est bien la voie humide de toute quête poétique :
Je ne peux vivre avec ma conscience,
Il me fait peur d’aller où sont les maudits.
J’ai bien renoncé pourtant au Paradis,
Cuirassons nos lâches cœurs d’insouciance.
Veux-tu du vin ou du rhum ?
Ou des potions qui donnent la folie ?
Dis-moi donc un moyen sur pour que j’oublie
Cet horrible In secula seculorum !
Le Remords avec sa voix de mélodrame.
Je l’entendrais lorsque sonnera mon glas,
Jetons cet enragé sous un matelas,
Essayons d’étouffer sous la chair notre Âme.

Le syndrome de la Méduse

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modèle : Charline G.

"Le syndrome de la Méduse" est une série photographique de la talentueuse Leaulevlesara, une artiste parisienne qui utilise à la fois le numérique et le polaroid. La jeune femme a récemment exposé au Moki bar en février, exposition intitulée "Idoloplastie". Leaulevlesara construit au fur et à mesure de ses clichés un monde étrange et fantasmagorique, où le rêve se mêle au cauchemar. La série présentée ici est de toute beauté : les corps blancs s'intègrent à la richesse des tissus, des bijoux ethniques, des coiffes de cheveux, le maquillage est lourd et les paupières fardées des modèles alanguies envoûtent le spectateur. Le syndrome de la Méduse, c'est un mélange de sensualité orientaliste et d'obsession occidentale. L'artiste a bien voulu expliquer sa démarche, que je vous laisse découvrir :

modèle : Ana Wanda K.
"La série de portraits « Le syndrome de la Méduse » est née de mon obsession, d’une idée fixe qui a pris racine dès mes débuts dans la photographie : le cheveu féminin. Avec cette obsession pour fil conducteur, j’ai souhaité réinterpréter le mythe de la Méduse, dont j’emprunte les questionnements sur les figures de la Femme et du Monstre d’une part, et la dualité entre Eros et Thanatos d’autre part. Les cheveux de mes modèles féminins, dans leur prolongement, se font parures, coiffes, robes…. Je me plais à imaginer qu’ils sont les leurs - les cheveux y auraient acquis leur propre autonomie - mais aussi ceux de leurs victimes. Ils exacerbent par ailleurs la beauté de ces femmes, mais lient aussi, menacent, étranglent. Cette série est enfin l’occasion pour  moi de redonner toute sa place dans mon travail artistique à la matière, ici capillaire, que je tresse, coupe, tord, use, tisse, transforme…et à la mise en scène. "


modèle : Sirithil




L'artiste remercie les modèles : Rachel, Sirithil, Maniouchka, Charline et Ana Wanda ; les créatrices Véronique Jeantet (bijoux) et Markiz création (stylisme); et les  MUAH : Djenete Boo, Agathe T. Lathrop et Khaoula, d'avoir contribué à cette série.


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Satire sociale et discours d’avertissement dans la série Mariage A-la-mode de William Hogarth, Partie I

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William Hogarth, peintre anglais du XVIIIe siècle, est passé à la postérité pour ses talents de graveur et de satiriste. Le qualificatif de « caricaturiste de mœurs » lui est resté, suite à ses attaques virulentes mais non dénuées d’humour sur les problèmes de son temps. L’alcoolisme, la prostitution, l’injustice ou encore la politique des Whigs figurent au rang de ses nombreux sujets.
Graveur de formation, il cherche pourtant à s’imposer dans le milieu artistique en tant que peintre. Ses peintures qu’elles soient de nature historiques ou des portraits ne rencontrent pas autant de succès que celles satiriques de ses autres œuvres et gravures. Nous remarquerons d’ailleurs que ses gravures les plus célèbres sont d’abord peintes puis seulement après, gravées ; c’est notamment le cas avec la série Mariage A-la-mode, peinte en 1743 et gravée vers 1744.
L’esthétique de la peinture d’Hogarth repose sur une minutie de détails et de symboles, insérés comme autant d’indices nécessaires à la compréhension de l’histoire, mais seulement accessibles à l’observateur attentif. Cette attention tournée vers le symbole inspirera notamment l’école préraphaélite. Le peintre introduit une fonction éthique à sa peinture, notamment en nommant ses séries sous le titre général de « Modern Moral Subjects », qui traduit par extension sa volonté de réformer la société. Outre cet intérêt moral et social, le mouvement, est un des traits remarquable de sa peinture qui lui vaut le qualificatif de « tableau vivant », dans le sens ou le spectateur s’attend à voir s’animer les personnages, dans nombreuses de ses planches l’action est d’ailleurs figée à un point culminant. Le mouvement du rococo est à son apogée pendant la carrière d’Hogarth, et ses compositions témoignent de l’influence de ce style sur sa peinture. Une attention toute particulière est apportée aux modèles féminins, que se soit dans la posture, l’habit, les plis du vêtement et ce sont souvent les personnages les plus expressifs. Les compositions sont riches, tant par la quantité de personnages (nombreux mais ne donnant par pour autant une impression de chaos) que par la qualité du décor ; sa palette est à dominante de couleurs chaudes et plus particulièrement de rouges et de jaunes. 
Ses œuvres les plus célèbres sont surtout des séries, allant de deux à six planches et dans l’ordre chronologique : Harlot’s Progress (1731), Rake’s Progress (1735), Mariage A-la-mode (1742), Beer Street et Gin Lane (1751).

* * *

Mariage A-la-mode paraît après Harlot’s Progress et Rake’s Progress, et prend pour sujet la haute société britannique contrairement aux deux autres séries citées. Peinte entre 1742 et 1743, puis gravée entre 1743 et 1745, cette série de tableaux est exposée à la National Gallery de Londres. Elle est qualifiée de « peinture narrative » ou encore de « roman muet » par rapport à l’histoire qu’elle raconte en image. Elle met en scène personnages et situations comme autant d’acteurs dans une pièce de théâtre; William Hogarth écrivit à propos de cette série :

« Subjects I consider’d as writers do my picture was my stage ans men and women my actors who were by means of certain actions to exhibit a dumb shew »

Inspiré par la comédie de John Dryden : Mariage A-la-mode, écrite en 1663[1], racontant les amours contrariés de deux couples ; Hogarth récupère à la fois le titre et l’intrigue du mariage pour en faire une série de tableaux en résonnance avec les mœurs de l’époque et la thématique du mariage arrangé qu’il appelle ironiquement une « Variety of Modern Occurrences in High-Life».
Mariage A-la-mode est composé de six tableaux (ou planches pour les gravures), chacune racontant/décrivant le désastre qui découle d’un mariage arrangé entre un aristocrate désargenté et la fille d’un riche marchand. Cette série se veut un avertissement sur les conséquences engendrées par pareille union, c’est-à-dire un mariage d’argent mais aussi d’ambition personnelle. Ainsi, le marchand en faisant en sorte que sa fille se marrie au-dessus de son rang, accède à l’échelon social supérieur ; le comte Squanderfield, lui, est ruiné et compte sur la dot de sa belle-fille pour résoudre ses problèmes d’argent. Le choix du titre en français n’est pas anodin, puisque sous-entendant la futilité d’un tel mariage « à la mode» ; Hogarth souvent dépeint comme francophobe et le titre pourrait tout aussi bien laisser transparaitre son dédain pour les personnages au travers du choix de la langue française.

Tableau 1: The Mariage Settlement

                            
The Mariage Settlement, est le premier tableau de la série Mariage A-la-mode. Il instaure le point de départ de l’histoire. Les personnages sont présentés et la situation de chacun est on ne peut plus claire. La fille du riche marchand et le jeune aristocrate vont être mariés, comme le symbolisent le mouchoir passé dans l’alliance. C’est une union sans amour : les deux jeunes gens se tournent le dos et la position familière de l’avocat (Silvertongue), penché vers la jeune femme, indique la possibilité d’une relation amoureuse. La présence d’une tache noire dans le cou du jeune comte est un indice quant à sa condition physique, il est probablement atteint de syphilis; elle indique aussi son caractère volage. Le miroir dans lequel il s’admire, souligne sa frivolité. Le comte Squanderfield pointe fièrement du doigt son arbre généalogique, symbole de sa haute lignée. Cependant, on peut apercevoir par la fenêtre l’arrêt de la construction de sa maison, l’un des personnage lui tend d’ailleurs un papier sur lequel est écrit « Mortgage », en français une hypothèque : le comte est ruiné.
Hogarth souligne l’imprudence de ce mariage et prophétise son échec: les deux chiens enchaînés ensemble (en bas à gauche) symbolisent ce mariage forcé,  la position des deux jeunes gens montre d’ailleurs leur réticence. Une tête de Méduse (en haut à gauche) pourrait représenter l’horreur du peintre face à un tel mariage.
La critique et la satire sociale prennent le relais sur l’avertissement : l’observateur est induit à émettre un jugement de valeur sur les deux pères. Le comte souffre de la goutte (mal fréquent au XVIIIe siècle, souvent associé à l’époque à l’alcoolisme), sa béquille et son pied bandé le signale ; la goutte est une maladie considérée comme « comique[2]». Il brandit son titre aristocratique comme une bannière : l’arbre généalogique, ses habits et les tableaux de maître à l’arrière plan corroborent son désir de grandeur et son statut social. Il est l’image même de l’arrogance aristocratique. Le marchand quant à lui préfère acheter son ascension sociale plutôt que de travailler pour y accéder. Les deux pères vendent littéralement leurs enfants : l’un pour l’argent, l’autre pour un titre.

L’Art du temps d’Hogarth, tout comme la société, est soumis à une hiérarchie, qui évalue aussi bien sa valeur artistique que sa valeur marchande. Ainsi, le tableau historique vient en premier, suivit du portrait, de la peinture de genre, du paysage et de la nature morte. On observe dans la plupart des tableaux qui composent Mariage A-la-mode, un arrière-plan partiellement ou entièrement (comme en figure 1) composé de tableaux. Ils  symbolisent à la fois la richesse du propriétaire et sa place dans la hiérarchie sociale : les tableaux d’histoire et le portrait de Jupiter dans le salon de Lord Squanderfield le définisse comme faisant parti de l’aristocratie.
Tableau 2: The Tête à Tête


Le deuxième tableau intitulé The Tête à Tête, est une vision du couple après le mariage, qui s’avère bel et bien désastreux. La maison en désordre et le tableau du cupidon assis dans des ruines (au-dessus de la cheminée) illustrent cet état de fait : l’amour n’a pas pris et était de toute évidence voué à l’échec. L’épouse qui s’étire, vient juste de finir une partie de cartes (elles sont éparpillées par terre), le mari quant à lui rentre certainement d’une maison close ou de chez sa maîtresse où il a passé la nuit : un bonnet de femme (reniflé par le chien) dépasse de sa poche. La tache noire est toujours en place, et on ne peut pas manquer de remarquer son air pâle et maladif. Le couple vit au-dessus de ses moyens ou dilapide sa fortune comme le montre le serviteur qui, levant les yeux et une main au ciel, tient un paquet de factures impayées.
Cette scène apporte des réponses concernant le comportement des deux mariés, chacun s’adonnant aux vices de sa classe sociale. Le nouveau comte, s’adonne aux plaisirs charnels et visite les prostituées. Sa femme dans le quatrième tableau, The Toilette, se prétend « lady », et organise une réception dans sa cambre à coucher en compagnie de personnages plus grotesques les uns que les autres. Sa liaison avec l’avocat Silvertongue est révélée dans cette scène par la familiarité de leurs positions respectives, par l’invitation de celui-ci à un bal masqué (il pointe le tableau d’un bal masqué derrière lui) et par le tableau en arrière plan représentant Jupiter et Io. A Chaque vice correspond cependant une rétribution, ce que les prochains tableaux vont illustrer.

Tableau 4: The Toilette



[1] Cette comédie de mœurs est représentée pour la première fois en 1673 à Londres, par la King’s Company.
[2] Maladie « comique » car caricaturale d’un mode de vie et d’un type de personne, et présente dans de nombreuses caricatures de l’époque.

Résultats du concours sur le mythe d'Orphée

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Voici les participations des gagnants du concours sur le mythe d'Orphée, qui avait lieu jusqu'au 10 juin. On retrouve donc une photo et un poème, mais quelques textes intéressants qui n'ont pas gagné seront toutefois publiés dans le webzine au fur et à mesure.


Photo de Svarte Px :


modèles : Eve Théry et Aymeric.


Texte de Julien Noël :

De sang froid

Une magicienne est bien malheureuse :
Malgré ses pouvoirs, ne peut être sien
Un jeune mortel,divin musicien ;
Or de cet Orphée,elle est amoureuse...

Mais les dieux ont fait ainsi le beau gosse
Que seule Eurydice obtient ses faveurs ;
Quant à sa rivale,elle a mal au cœur
Sachant que, demain,auront lieu leurs noces.

« C'est une dryade, et je suis humaine !
(Se lamente-t-elle,entre deux sanglots)
Mes filtres d'amour ne sont que de l'eau
Face à sa beauté ;j'en ai tant de peine ! »

Approche un serpent,étant sous les ordres
De cette Circé ;c'est son familier.
Fidèle, il lui dit,s'étant déplié :
« Maîtresse,veux-tu que j'aille la mordre ? »

Entendant cela, la lumière laide
De la jalousie allume ses yeux :
« Va, mon serviteur, c'est ce que je veux ;
Il sera à moi, si elle décède... »

Satire sociale et discours d’avertissement dans la série Mariage A-la-mode de William Hogarth, Partie II

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Tableau 3: The Inspection

The Inspection (troisième tableau de la série), se déroule dans le cabinet d’un « médecin » français : Monsieur de La Pilule, que le comte et sa (très jeune) maîtresse, viennent consulter. Les quatre personnages présentent des symptômes de la syphilis. Ils sont caractérisés par les taches noirs (sur la femme en rouge et le comte), le mouchoir que la jeune prostituée tient à la bouche cache probablement une plaie : premier symptôme de la syphilis, et enfin par le nez et les jambes tordues du docteur. Le comte tend une boîte de pilules au médecin, cherchant à se faire rembourser face à l’inefficacité de ce traitement. 

La syphilis est un des maux qui ronge la population de l’époque, et se répand majoritairement par le biais de la prostitution ; le remède préconisé alors était un traitement au mercure, sous forme d’onguents, d’emplâtres, de bains, etc. Elle est communément appelé « The Nobleman’s desease», ici, l’ironie du sort veut que ce soit effectivement la maladie du jeune comte. Hogarth attribue la syphilis à nombre des délinquants, pour ainsi dire, de ses peintures et gravures, les stigmatisant et apportant à l’histoire une dimension morale : le coupable d’un vice (ici la luxure et l’infidélité) est puni. 
La critique d’Hogarth va ici plus loin avec la représentation de cette prostituée-enfant. Le choix est intentionnel, Lord Squanderfield pourrait s’offrir les services d’une prostituée adulte ou même d’une courtisane, or il choisit une enfant. Par ce biais, Hogarth dénonce la prostitution enfantine (courante au XVIIIe siècle), comme l’avait fait un pamphlet publié en 1749 : Satan’s Harvest Home, incriminant (entre autre) certains hommes d’une: « preference for young girls, […] some of them hardly high enough to reach a man's waistband ». Bien que de nombreux critiques d’art tels que Rouquet ou Trustler n’aient pas de « sympathie » pour cette fillette ou l’identifie simplement sous la seule appellation de « petite fille du commerce », sa position dans la composition : sous la canne du lord, marque à la fois son infériorité sociale et son peu d’importance, renforçant par là même son apparente fragilité et sa position de victime. On notera également l’étrangeté du décor, rappelant les Vanités avec le crâne, et les danses macabres médiévales avec la scène dans l’armoire du squelette enlacé à un homme. La proximité du squelette, de l’homme et de la tête à la perruque (symbole du statut social), semble prophétiser la mort imminente du jeune lord. 

* * *

Tableau 5 : The Bagnio
  
Les deux derniers tableaux amorcent la fin tragique et pathétique de l’histoire. The Bagnio expose la mort du jeune comte et The Lady’s Death, celle de sa femme. La scène du cinquième tableau est celle du « bagnio», mot qui désigne au XVIIIe siècle en plus de son sens premier, c’est à dire des bains turcs, un endroit où l’on pouvait louer une chambre sans qu’aucune question indiscrète ne soit posée, c’était aussi un lieu propice à la prostitution. Le jeune comte Squanderfield y surprend sa femme avec Silvertongue : les draps froissés et défaits attestent de la relation adultérine. A la suite de ce qui semble être un duel, l’avocat tue le mari avant de s’enfuir par la fenêtre. La femme est à genoux devant son époux mourant et implore son pardon. 
C’est le tableau le plus sombre de la série, où les seules sources de lumières sont la bougie la lampe et le supposé feu (en bas à droite). Hogarth joue sur l’ironie du sort et les indices prophétiques de la mort du couple : le jugement de Salomon, représenté en arrière plan sur la tapisserie, indique l’inévitable destruction des deux protagonistes. Le miroir derrière la tête du comte mourant rappelle celui dans lequel il s’admirait dans The Mariage Settlement ; il prend alors la signification du miroir des Vanités : la jeunesse et la vie ne sont que temporaires.

Tableau 6 : The Lady’s Death 
The Lady’s Death, comme son titre l’indique a pour sujet la mort par suicide de la comtesse : un flacon de poison a roulé à ses pieds. La raison de ce suicide est la nouvelle de la pendaison de son amant dans le journal (qui se trouve aussi à ses pieds): on distingue le dessin d’une potence sur la première page. Son train de vie de lady s’est arrêté comme le montre le repas frugal sur la table, et les tableaux hollandais représentant des scènes de genre. Ces tableaux sont en totale opposition avec les tableaux de maîtres du vieux comte dans The Mariage Settlement. Suivant la classification esthétique de l’époque, ils renvoient à la condition inférieure qu’occupe à présent la comtesse, qui n’a plus ni haut statut social, ni fortune. 
La fin est à la hauteur des prévisions du peintre : les deux époux et l’amant sont morts, la petite fille née de leur union est elle aussi atteinte de la syphilis comme le confirment la tâche noire sur sa joue et ses jambes paralysées. La cupidité du marchand par contre, est toujours intacte : il vole l’alliance en or de la main de sa fille, conscient que les biens d’un suicidé reviennent à l’Etat. 


 * * *


L’idée selon laquelle « Pour instruire, il faut plaire, mais aussi effrayer », est constante dans la série Mariage A-la-mode. Hogarth tourne en dérision l’aristocratie mais aussi la course à l’ambition au travers du mariage de convenance. Le sort funeste qui attend les époux, avertit l’observateur sur la dangerosité de tels usages. Hogarth jouent avec les symboles pour prophétiser la destruction du couple, les chiens enchainé, la tête de Méduse, le cupidon jouant de la cornemuse dans des ruines : le son qu’il tire de la cornemuse symbolise la discordance au sein du couple. Les allégories sont aussi nombreuses et se manifestent généralement dans les sujets des tableaux accrochés au mur, à l’arrière-plan. Hogarth en pointant du doigt les conséquences qu’engendre un mariage arrangé (sous-entendu sans amour ou affection mutuelle), se permet d’autres réflexions sur la société dans laquelle il évolue. L’avidité et le désir de prestige social sont mis en lumière par les personnages des deux pères, la prostitution enfantine est soulignée par la présence de la jeune maîtresse du comte, mais ce sont surtout les maladies vénériennes qui sont mises en lumière. La syphilis étroitement liée à la prostitution, est visible dans tous les tableaux par les tâches noires ou les défauts physiques qui couvrent les visages des personnages (le comte, le médecin, la jeune prostitué, la femme en rouge, et la fille des deux époux). Hogarth l’impose à la fois en tant que punition : rétribution divine et morale du péché de luxure, mais aussi en tant qu’avertissement. L’observateur sait comment le jeune comte l’a contractée, reconnaît la décrépitude physique qu’elle entraîne mais est aussi rendu conscient qu’aucun traitement (même au mercure) n’est efficace et ne peut guérir cette maladie. 

Hogarth tourne en ridicule les personnages et la sphère sociale dans laquelle ils évoluent. Il parvient à introduire à la fois des comiques de situations et une dramatisation de ces mêmes situations : cette dualité caractérise sa satire. L’attitude des deux pères est tournée en dérision : l’un arrogant et prétentieux, ne se souciant que de son lignage ; l’autre cupide, avide de reconnaissance sociale. Tous les deux vendent littéralement leurs enfants qui sont dès lors victimes du stratagème de leurs parents. 
The Mariage Settlement incorpore le comique et le ridicule au drame de ce mariage qui est prophétiquement annoncé comme un échec retentissant. Il en va de même pour le second tableau, où les époux vivent, d’une certaine façon, deux vies séparées. Les éléments comiques sont apportés par le visage satisfait de l’épouse ou encore par le bonnet qui dépasse de la poche du lord ; mais le désordre dans la pièce, les factures, le décor pictural rappellent la précarité de leur union. 

La lisibilité des tableaux et le fourmillement d’indices et de symboles, donnent à l’observateur plein accès à la compréhension de l’œuvre dans sa totalité (les six épisodes). L’aspect narratif comme le souligne Robert Cowley, assure quant à lui une fluidité dans la lecture de la série et le divertissement de l’observateur. La lecture de cette œuvre n’est cependant pas entravée par le nombre de personnages ou la multiplicité des symboles, grâce à l’équilibre de sa composition. Les protagonistes sont placés au centre et l’histoire se déroule à partir d’eux, suivant leurs positions et leurs expressions. L’arrière-plan est lui propice aux allusions et allégories. Les personnages secondaires quant à eux, viennent appuyer et confirmer la situation de chaque épisode. Dans The Toilette, par exemple, Silvertongue et la comtesse sont mis en avant, leurs positions témoignent de leur intimité ; les personnages secondaires montrent la prétention de cette « fille de marchand » qui joue à la grande dame suite à son nouveau statut social, en organisant une réception « à la française » dans sa chambre à coucher, entourée de personnages grotesques : on y retrouve un nain, un maître de ballet, un valet de chambre, etc. Le petit page, en bas à droite pointe les cornes d’une figurine d’Actéon, symbolisant par là l’infidélité de la comtesse. 

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Cette lisibilité, la narrativité de cette série, la satire sociale et le discours moral (voire moralisateur) qu’elle produit, pourrait d’une certaine façon assimiler Mariage A-la-modeà un pamphlet artistique et pictural. La virulence avec laquelle William Hogarth dépeint l’inutilité d’un mariage de convenance, le ridicule d’une course à l’ascension sociale, les sous-entendus concernant la prostitution ou les « nobleman’s deseases », telles que la goutte ou la syphilis ; puis l’échec par avance connu de l’union, s’apparenterait alors à un engagement, une prise de position personnelle du peintre. Le ton satirique, le grotesque de certains personnages (le marchand, le médecin, etc.) attaquent le fondement de la société dans laquelle il évolue, où règnent les conventions sociales figées, et où l’on prête une oreille sourde aux maux et problèmes de l’époque. 
Hogarth signe donc une œuvre satirique et éthique, où ridicule et pathos instruisent et avertissent le lecteur-observateur des tenants et aboutissants d’un « mariage à la mode ». 


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 Bibliographie: 

 ALTICK, R. D., "Humourous Hogarth : His Litterary Associations", in The Sewanee Review, vol. 47, n° 2, The John Hopkins University Press, 1939, p. 265-267. 
BINDMAN, D., "William Hogarth – (1697- 1764)", Oxford Dictionary of National Biography [en ligne], http://www.oxforddnb.com/public/dnb/13464.html, consulté le 24/12/2013. 
COWLEY, R., Mariage A-la-mode : A Review of Hogarth’s Narrative Art, Manchester, Manchester University Press, 1983, 177 p. 
HASLAM, F., From Hogarth to Rowlandson : Medicine in Art in Eighteenth Century Britain, Liverpool, Liverpool University Press, 1996, 341 p. 
HOGARTH, W., The Analysis of Beauty, Londres, Joseph Burke & Clarendon Press, 1955 (1er éd. 1753), 248 p. 
JARRETT, D., England in the Age of Hogarth, Yale, Yale University Press, 1986, 223 p. PAKNADEL, F., "Quelques réflexions sur image et société dans l’œuvre d’Hogarth", in Bulletin de la société d'études XVII-XVIII, anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n°33, 1991, p. 77 - 91. PAULSON, R., Hogarth : His life, art and time, Yale, Yale University Press, vol. 1, 1971, 558 p.

Les icônes de Jasmine Worth

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Blood Milk

Jasmine Worth est une jeune artiste américaine originaire de San Diego. Elle est diplômée du Laguna College of Art and Design, et depuis se consacre a sa peinture. L'univers artistique de cette jeune femme est principalement basé sur la figure féminine en tant que madone à l'enfant. Elle mêle religion catholique et culture artistique alternative. Ainsi on retrouve ces portraits religieux habilement habillés de voiles noirs et de signes provocateurs : troisième œil, crâne d'animaux, bois d'arbres ou de cerfs, lune inversée, etc. Même l'enfant emmailloté prend des airs diaboliques -il a parfois deux têtes. Jasmine Worth détourne allègrement l'iconisation religieuse pour l'intégrer dans son monde artistique à la veine résolument dark. Ce que j'apprécie particulièrement, outre l'aspect provocateur, c'est qu'elle mélange des symboles païens avec ce type de portraits très catégorisé. Le mélange des genres est aussi le mélange des religions, dont on peut retenir un élément fondateur : la femme, qui est à l'origine de la vie selon les païens, et du fils de Dieu selon les chrétiens. Cette reprise de la figure féminine s'inscrit également dans la continuité de la peinture depuis le XIXe, siècle fourmillant de représentations de femmes fatales (Salomé, Lilith, Ophélie, etc). Certaines de ses œuvres sont présentes dans le Tarot under Oath art book, livre dans lequel différents artistes ont réalisé leur vision de plusieurs arcanes du tarot. On peut également retrouver un article sur son travail dans le Hey #18. 

 Blood Tears et Dead Forms


 Milk Eyed Maid et Patron Saint of Freaks


Patron Saint of Last Nights Tears


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Le site de l'artiste : JasmineWorth.com

Je veux...

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Je veux mourir
Dans le creux de la nuit
A l’ombre du monde
Sous les plis de la terre
Pour le soupir du temps et des êtres
Dans le ventre du cœur sanglant
Dans le creux de la nuit
Je veux mourir
Achevé, plié, assommé, ravagé, nié, oublié
Parce que je suis achevé, plié, assommé, ravagé, nié, oublié
Toujours tout en en branle
Ça tousse ça crache ça se dégrade
Ça rugit un concert cassé achevé
Ça berce une fin du monde
Je veux mourir
Dans le creux de la nuit
Beaucoup plus loin toujours
Et n’importe où
Là-bas
Là où c’est oublié
Là où on gît
La peau sur la table un genou cassé
Je veux mourir
Sous l’ombre que je traîne
Et je périrai dans un souffle immobile 
Au vacarme de délicats brouillards émeraudes.

Les autoportraits de Natalia Kovachevski

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Natalia Kovachevski est une jeune artiste de bientôt 24 ans, qui s'adonne à la photographie depuis 2008, d'abord en tant que mannequin, puis photographe. En effet, Natalia prête ses courbes à de nombreux artistes, qu'ils soient photographes, peintres ou sculpteurs. Elle participe d'ailleurs à des stages et des expositions où elle pose en tant que modèle, et parfois expose son propre travail. Elle a récemment été présente aux Rencontres d'Arles et a posé pour Hervé Bruhat lors d'un stage photo à Baux-de-Provence lors du Festival Européen de Nu à Arles. 
On connait surtout Natalia pour son travail d'autoportraitiste. Elle use à merveille de l'objectif, sublimant la plupart du temps son corps et donnant des ambiances vaporeuses et surannées à ses images. Parfois elle se prend en photo avec sa fille, qui lui sert de modèle de temps en temps. L'artiste privilégie les noir et blanc travaillés, les tons sépia qui reflètent la photographie ancienne, et le grain brumeux qui donne un coté argentique à ses portraits en couleurs. Natalia exprime beaucoup par ses photos : la jouissance, le plaisir, la séduction, le provocation. Pour elle, la nudité est une liberté, et un acte révolutionnaire. Elle aime travailler en solitaire, en pleine nature avec la lumière naturelle. Ainsi, elle laisse libre cours à ses idées et fantasmes, et nous livre des petits bijoux intimes et lumineux.
Voici donc plusieurs de ses autoportraits :


 

"Mes autoportraits expriment à la fois une volonté de se remettre en question, de faire de sa vie, de son identité, la matière de l’œuvre d'art, mais également un certain détachement de la réalité et la fragilité du moi, face aux mécanismes de l'identification et de la reconnaissance sociale, qui réduit l’Être à l'apparence. Je les veux parfumés de mystères, de lumières, de couleurs, d'ombres et de voies lactées pour démontrer l'infini à la fois solaire et ténébreux de la vie. Pour revaloriser ce lien avec la Nature que tant d'humains ont perdu... Décider d'être de son propre guide, de se sauver soi même, d'être en harmonie avec la terre, avec soi, les autres et la vie sous toutes ses formes."




* * *

N. B : Citation prise sur la page facebook de Natalia.

Aller plus loin :

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Bonne nuit, Mr Holmes, par Carole Nelson Douglas

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Quatrième de couverture :

Alors qu'on le croyait disparu à tout jamais, le célèbre détective de Baker Street renaît de ses cendres pour résoudre une énigme historique : retrouver la fabuleuse ceinture de diamants de la reine de France au funeste destin, Marie-Antoinette. Mais le grand Sherlock Holmes n'est pas le seul à convoiter ce trésor : l'envoûtante Irene Adler, actrice à la réputation sulfureuse et se piquant de mystère à ses heures perdues, a été engagée par le joaillier Tiffany pour découvrir l'emplacement des joyaux. Elle entraîne à sa suite sa jeune biographe, qu'elle présentera à l'infréquentable Oscar Wilde, à l'impressionnant Bram Stoker ou au génial Dvorak, avant de la conduire jusqu'au Royaume de Bohême, lors d'une confrontation désormais inévitable entre l'aventurière et le maître des détectives... Grâce à Carole Nelson Douglas, Sherlock Holmes nous revient, l'esprit plus affûté et l’œil plus scrutateur que jamais ! Mystère et logique vont pouvoir reprendre leur partie de cache-cache à travers les brouillards de Londres. Qui s'en plaindra ?

Remettons les choses dans le contexte. Cette quatrième de couverture est, à mon sens, un peu à côté de l’intérêt du roman. Bonne nuit, Mr Holmes, est un écho de la nouvelle Un scandale en Bohêmeécrite par Sir Arthur Conan Doyle en 1981. Un écho relatant toute l’histoire mais du point de vue d’Irène Adler. Mais attendez, reprenons depuis le début...

Un scandale en Bohême est une nouvelle mettant en scène le détective Sherlock Holmes, mais surtout la première histoire mettant en scène Irène Adler. Au cours de cette courte aventure, le Roi de Bohème vient trouver Sherlock Holmes et lui confie la mission de récupérer une photo qui pourrait compromettre son mariage. Cette photo détenue par Mademoiselle Adler. Après une courte enquête, le détective parvient à trouver ou se cache la photo, mais échoue à s’en emparer : Mademoiselle Adler, devenu Madame Norton, s’étant enfuie sur le continent entre temps, assurant que jamais elle n’utiliserait cette photo pour commettre du tort au Roi ou à son mariage.

Bien que courte, cette nouvelle est, à mes yeux, intéressante en plusieurs points. Le premier est qu’elle relate le premier, mais surtout un des rares échecs de Sherlock Holmes. En effet, si le dénouement est ‘heureux’ et que l’enquête à proprement parler est résolue, celui-ci ne mène pas à bien sa mission. Le deuxième point est, qu’en dépit de la misogynie poussée de Holmes, ce soit une femme qui le mette en échec. Le troisième, plus discutable, est le lien qui va se créer entre les deux personnages, et que l’auteur ne développera jamais. Mais je digresse, revenons à notre sujet principal.

Ce roman est principalement centré sur le passé d’Irène Adler. La première partie de l’intrigue se focalise surtout sur sa rencontre avec Pénélope, et leur vie quotidienne dans Londres. Elle est aussi nécessaire pour nous présenter les deux demoiselles aux caractères si différents. Là où la seconde se tient à la place que la société victorienne lui accorde, la première s’est affranchie des règles et est beaucoup plus aventurière et veut vivre sa vie sans contraintes. On y apprend également qu’elle possède un esprit brillant et, est parfois sollicitée pour résoudre quelques problèmes. C’est dans ce contexte que la ceinture de diamants de Marie-Antoinette prend une importance relative.

En effet, cette partie de l’intrigue est à mon sens présente uniquement pour deux raisons : introduire le personnage de Godfrey Norton, et opposer Adler à Holmes. Holmes que l’on ne croisera au final que quelques lignes, et qui n’apportera pas grand-chose au récit. C’est aussi au cours de cette partie que la carrière de cantatrice d’Irène Adler commencera à prendre de l’ampleur, au point de la voir partir pour le continent.

C’est ce départ qui va servir les éléments qu’Un scandale en Bohême ne faisait qu’énoncer ou sous-entendre. Repérée pour sa prestation dans un opéra de Dvorak, le Roi de Bohême va s’éprendre de Mademoiselle Adler et l’amener avec lui. Cette partie développe leur vie à la cour – ainsi que le contexte de la fameuse photo. Elle nous est transmise dans un premier temps via des lettres, puis par les yeux de Pénélope. Ce double point de vue est plutôt intéressant. Une nouvelle enquête sera également présente pour mettre en avant le génie de la belle américaine et surtout la laver de tout soupçon.

La troisième et dernière partie est en tout point identique à la nouvelle originale, hormis le point de vue qui est inversé et qui, du fait du format, est davantage développé. Sachez aussi qu’en dépit de son peu d’intérêt, l’enquête concernant la ceinture de diamants trouvera une conclusion.

Comme c’est le cas pour le canon de Sherlock Holmes, l’histoire est racontée par une tierce personne, ici incarnée par le personnage de Pénélope. Un passage bien souvent obligatoire lorsque l’on brosse le portrait d’un personnage plus brillant que la moyenne. En effet, si Sir Arthur Conan Doyle a eu besoin de Watson comme narrateur, c’est qu’il avait besoin d’un « esprit moyen », d’un personnage commun, pour rendre accessible les enquêtes du grand détective à tous. Il était inévitable que la vie d’Irène Adler soit traitée de la même façon, tellement les deux personnages sont semblables.

Dans la veine directe du style de Sherlock Holmes, Carole Nelson Douglas nous livre ici un roman plutôt agréable à lire. On y retrouve avec un certain plaisir le Londres de 1880 dépeint par Sir Arthur Conan Doyle, mais dans une ambiance bien plus féminine, où Oscar Wilde jouera, une nouvelle fois, un rôle décisif. Les seuls regrets pourront venir des incohérences et des problèmes de crédibilité que toute la partie en Bohême soulève, mais je pense qu’elles sont néanmoins ‘nécessaires’ pour être raccord avec l’intrigue et les événements contés dans  Un scandale en Bohême. L’autre reproche que l’on pourrait faire à la série Irène Adler serait de démystifier ce personnage aussi emblématique. Un point qui ne me gêne nullement, tant qu’il est traité de la sorte.

Si vous avez adoré Sherlock Holmes par Sir Arthur Conan Doyle, je pense que vous apprécierez Irène Adler par Carole Nelson Douglas. Cela dit, je vous conseille de lire le canon originel avant de vous lancer dans les aventures d’Irène et Pénélope, sous peine de rater certaines subtilités, clins d’œil et autres recoupements pas toujours utiles, mais néanmoins agréables.

Bonne nuit, Mr Holmes, de Carole Nelson Douglas – Le Masque 2001

Grace Nuth, la muse préraphaélite du XXIe siècle

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Grace Nuth est tout d'abord une libraire américaine, qui vit dans l'Ohio, mais aussi une bloggeuse, et c'est grâce à son blog que je l'ai découverte : The Beautiful Necessity. Ce dernier est rempli de posts à sujets préraphaélites, mouvement artistique anglais que la jeune femme adore. Tout son univers tourne autour du préraphaélisme, de la littérature et des arts en général. Grace est depuis quelques années modèle photo, et a posé pour de talentueux photographes comme Erica Peerenboom, Rachel Lauren, DividingME, etc. Voici son interview !

La Belle Dame Sans Merci, par Richar Wood.

~ Hello ! First of all, can you tell us a little about yourself ? (Bonjour, peux-tu te présenter un peu ?)

My name is Grace Nuth, and I am also known by my modeling name, Sidhe Etain. I'm a 33 year-old Ohio native who grew up on fairy tales and fantasy, and it continues to inform every aspect of my life today !

Mon nom est Grace Nuth, et je suis aussi connue sous mon nom de modèle, Sidhe Etain. J'ai 33 ans et je suis originaire de l'Ohio, j'ai grandi parmi les contes de fées et la fantasy, et tout cela continue à faire partie de tous les aspects de ma vie !

par Red Generation

~ You work in a library, are books a passion ? What kind do you read ? (Tu travailles dans une librairie, est-ce que les livres sont une passion ?)

Books are definitely a passion of mine. My preferred genre is Mythic Fiction, which is a term coined by Terri Windling and Charles de Lint to describe literature that is rooted in, inspired by, or that in some way draws from the tropes, themes and symbolism of myth, folklore, and fairy tales.

Les livres sont en effet une de mes passions. Mon genre préféré est la fiction mythique, qui est un terme inventé par Terri Windling et Charles de Lint pour décrire la littérature qui puise ses racines dans, s'inspire de, ou tire ses tropes, thèmes et son symbolisme des mythes, du folklore et des contes.

par Erica Peerenboom

~ I discovered your universe thanks to your blog : A Beautiful Necessity. Is Beauty in life necessary for you ? (J'ai découvert votre univers grâce à votre blog : A Beautiful Necessity. Est-ce que la Beauté est un facteur nécessaire dans la vie pour vous ?)

I consider myself a modern day Aesthete. The Aesthetic Movement in Victorian times was an art movement that really was more a life philosophy for its followers. The concept was to escalate the importance of appreciation of beauty above all else. When you say something like this in modern times, many people assume "beauty" is synonymous with "vanity" or "physical attractiveness." The Aesthetes understood that true beauty was about so much more : any moment, object, or experience that makes your heart ache with the perfection of it is the definition of beauty. William Morris expressed this well when he said "Have nothing in your homes that you do not know to be useful or believe to be beautiful."

Je me considère comme une esthète moderne. L'Aesthetic Movement à l'époque victorienne était un mouvement qui était plus qu'une philosophie de vie pour ses membres. L'idée était d'intensifier l'importance de la beauté sur tout les aspects de la vie. Quand vous dites quelque chose comme ça aujourd'hui, beaucoup de gens pensent que la beauté est synonyme de vanité ou d'attraction physique. Les esthètes avaient compris que la vraie beauté était bien plus : chaque moment, objet ou expérience qui fait vibrer votre cœur de par sa perfection est une définition de la beauté. William Morris a bien exprimé cela quand il a dit "N'ayez rien d'autre chez vous que ce vous ne savez pas être utile ou croyez être beau."

par Erica Peerenboom

~ You seem passionate about painting, especially Pre-Raphaelism. Can you explain to us this passion ? (Vous semblez passionnée par la peinture, surtout le Préraphaelisme. Pouvez-vous nous expliquer cette passion ?

In my teen years, I first became obsessed with fantasy books. I then needed a soundtrack for the books, and discovered my favorite singer, Loreena McKennitt. Through Loreena I stumbled upon Waterhouse's famous artwork The Lady of Shalott, and through Waterhouse I discovered the original Pre-Raphaelites. And well, once I reached that point I was hooked. It didn't hurt either that their personal lives were about as fascinating if not more so than the incredible artwork that they created !

A mon adolescence, j'ai été tout d'abord obsédée par les livres de fantasy. Puis j'ai eu besoin d'une bande-son pour les livres, et j'ai découvert ma chanteuse préférée, Loreena McKenitt. Grâce à Loreena j'ai trouvé par hasard la célèbre toile The Lady of Shalott de Waterhouse, et par Waterhouse j'ai découvert les préraphaélites originaux. Ainsi j'ai atteint le seuil où je suis accro. Cela ne choque pas non plus de dire que leurs personnalités de leur vivant ont été aussi fascinantes, sinon plus, que les œuvres incroyables qu'ils ont créées ! 

par Anna Inez

~ Who are your favorite painters ? (Quels sont vos peintres préférés ?)

My favorite painter of all time is John William Waterhouse. My favorite living artists are Kinuko Craft and Niroot Puttapipat. I never had the chance to meet Waterhouse, obviously since we lived in different eras, but I've met Kinuko Craft, and I own a couple of Niroot originals.

Mon peintre préféré de tous les temps est John William Waterhouse. Mes artistes favoris encore vivants sont Kinuko Craft et Niroot Puttapipat. Je n'ai jamais eu la chance de rencontrer Waterhouse, évidemment puisque nous vivons à des époques différentes, mais j'ai pu rencontrer Kinuko Craft et je possède quelques originaux de Niroot. 

par Red Generation

~ You dye your hair in red, is this because of redhaired women we can see in Pre-Raphaelism ? (Vous teignez vos cheveux en roux, est-ce à cause des femmes rousses que l'on peut voir dans le Préraphaélisme ?)

Guilty as charged ! I've been coloring my hair red since I was 15, which means (cough) many years. The greatest influences on the choice were Pre-Raphaelite models, and Anne of Green Gables.

Coupable ! Je colore mes cheveux en roux depuis que j'ai 15 ans, ce qui veut dire (tousse) beaucoup d'années. Ce choix a été grandement influencé par les modèles préraphaélites, et Anne of Green Gables.

par Amy Parrish of Atelier

~ I think people passionnate about the Aesthetic Movement, Pre-Raphaelism and Symbolism are often interested in photography. What is your opinion ? (Je pense que les gens passionnés par l'Aesthetic Movement, le Préraphalélisme et le Symbolisme sont souvent intéressés par la photographie. Qu'en pensez-vous ?)

I agree, especially the sort of whimsical and narrative photography I most admire, from photographers like Tim Walker, Eugenio Recuenco, and Kirsty Mitchell. Pre-Raphaelite art appeals to the romantic in us...the part of us that remembers the old ballads and stories told in which good may have to battle through true hardship, but always wins out. We see that in their photography too...in the depth of the mystery and the way it makes us ask "what's the story ?"

Je suis d'accord, surtout dans le genre de photographie fantaisiste et narrative. J'admire le plus les photographes comme Tim Walker, Eugenio Recuenio et Kirsty Mitchell. L'art préraphaélite appelle le romantique en nous... la part de nous qui se souvient des vieilles ballades et histoires, dans lesquelles le bien doit se battre pour triompher des grandes difficultés, mais il gagne toujours. On voit cela dans leur photographie... dans les profondeurs du mystère et la façon dont cela nous fait nous demander "quelle est l'histoire ?".

The Sisters of October, par Ellie Lane

~ You are as well a photo model, why ? (Vous êtes aussi modèle photo, pourquoi ?)

Well...to be honest, because it's fun. Don't get me wrong, modeling can be hard work (especially at the hobby level when you are tromping through fields in a ball gown carrying your shoes and the ladder while swatting away bugs, etc.) but the process is enjoyable even when it's difficult, and the resulting images are so thrilling.  It's satisfying to come up with a concept, create or obtain the props and wardrobe, pair up with a phenomenal photographer, and see your collaboration result in a narrative image that, like I said above, tells a story or intrigues a viewer. I wouldn't trade it for the world.

Et bien... pour être honnête, parce que c'est amusant. Ne vous méprenez pas, poser peut être un dur boulot (surtout à ce niveau passionné quand vous marchez péniblement dans les champs dans une robe de bal, portant vos chaussures et l'échelle pendant que vous chassez les insectes, etc...) mais le procédé est plaisant même quand c'est difficile, et le résultat est tellement enchanteur. C'est satisfaisant de proposer un projet, de créer ou d'obtenir les accessoires et la garde-robe, en plus d'avoir un photographe incroyable, et de voir le résultat de votre collaboration en une image qui raconten, comme ce que j'ai dit plus avant, une histoire ou qui intrigue le spectateur. Je n'échangerais ceci pour rien au monde.

par Ellie Lane

~ Can you tell us a little about your experience ? (Pouvez-vous nous parler un peu de votre expérience ?)

I first started modeling as a hobby in 2009, when I was asked to be a Valkyrie for a local Viking Festival's yearly calendar. That was enough to whet my appetite, and in fall of 2010 I started doing it on a regular basis. I joined Model Mayhem and met some phenomenal talents all around Ohio. Things really started to come together in 2012 when I did a shoot with a photographer named Kevin James of Red Generation Photography. Through Kevin, I met a group of kindred spirits, both local and from several states away, who also love to create the same sort of imagery I love. I am so thankful for everyone in my circle of kindred spirits who love to create such arresting imagery.

J'ai d'abord commencé à poser par passion en 2009, quand on m'a demandé d'être une Valkyrie pour le calendrier d'un festival viking local. C'était juste assez pour aiguiser mon appétit, et à la fin 2010 j'ai commencé à poser de façon régulière. J'ai rejoint Model Mayhem et j'ai rencontré de fabuleux talents dans l'Ohio. Les choses ont vraiment commencé à bouger en 2012 quand j'ai shooté avec un photographe nommé Kevin James de Red Generation Photography. Grâce à Kevin j'ai rencontré un groupe d'esprits apparentés, à la fois proches de chez moi et dans des états différents, qui aiment aussi créer le même genre d'imaginaire que j'adore. Je remercie également toutes les personnes de mon milieu qui aiment créer de tels univers captivants.

The North Remembers, par Rachel Lauren

~ Do you sometimes take photos ? (Prends-tu des photos de temps en temps ?)

Last fall or so, I did a simple portrait session with my friend (and phenomenal photographer) Amy Parrish of Atelier. As we were shooting, she paused and said "you know, Grace, these images are almost self-portraits. I'd love to see what you would do with a camera." So far I haven't followed up on her encouragement, but I'd definitely like to try sometime.

L'automne dernier environ, j'ai fait une simple session de portrait avec mon amie (et phénoménale photographe) Amy Parrish of Atelier. Alors que nous shootions, elle a interrompu la séance et dit "Tu sais, Grace, ces images sont presque des self-portraits. J'adorerais voir ce que tu ferais avec un appareil." Depuis je n'ai pas suivi ses encouragements, mais j'aimerais absolument essayer un jour.

par DividingME

~ What are the authors you like most ? Do you read poetry ? (Quels sont les auteurs que vous aimez le plus ? Lisez-vous de la poésie ?)

My favorite authors are Catherynne Valente, Patricia McKillip, Charles de Lint, Terri Windling, Neil Gaiman, Margo Lanagan, Sarah Addison Allen, and Alice Hoffman. Really, I had to cut myself off or I could keep going for ages with the wonderful authors I enjoy ! I do read poetry. I adore the work of Yeats, Keats, and Tennyson, and for modern poets I love the work of Theodora Goss and C.S.E. Cooney. Keats is my favorite though...I have a quote from La Belle Dame Sans Merci on my wall, and one from Ode on a Grecian Urn on my stairs.

Mes auteurs favoris sont Catherynne Valente, Patricia McKillip, Charles de Lint, Terri Winding, Neil Gaiman, Margo Lanagan, Sarah Addison, et Alice Hoffman. Vraiment, j'ai dû me stopper moi-même ou j'aurais pu continuer pendant des années avec tous les auteurs que j'adore ! Bien sûr que je lis de la poésie. J'adore l’œuvre de Yeats, Keats, et Tennyson, et parmi les poètes modernes j'aime beaucoup le travail de Theodora Goss et C. S. E. Cooney. Keats est mon préféré de tous... J'ai une citation de La Belle Dame Sans Merci sur mon mur, et une autre de Ode on a Grecian Urn dans mes escaliers.

par Silent Shudder

~ You are also inspired by myths and legends.What are your favorite and why ? (Vous êtes aussi inspirées par les mythes et légendes. Quelle est votre préférée et pourquoi ?)

The story of La Belle Dame Sans Merci obsesses me. I love the way Keats left the story vague and unclear. In my mind, she is the innocent victim of the poem, and there are many things in the text to support this. I also adore the ballads of Tam Lin and Lady Isabel and the Elf Knight. Both feature incredibly strong and kick-bum female heroines who need no rescuing. Of course there's also The Lady of Shalott, who started the whole journey of my Pre-Raphaelite life. And my favorite fairy tales are The Twelve Dancing Princesses, Beauty and the Beast, and The Snow Queen. I recently finished a two year project where the twelve dancing princesses are walking through the enchanted forest on all four walls of my dining room.

L'histoire de La Belle Dame Sans Merci m'obsède. J'adore la manière dont Keats a laissé l'histoire imprécise et ambiguë. Selon moi, elle est l'innocente victime du poème, et il y a beaucoup de choses dans le texte pour l'appuyer. J'aime aussi beaucoup les ballades de Tam Lin, et de Lady Isabel and the Elf Knight. Les deux se caractérisent par leurs héroïnes incroyablement fortes qui n'ont pas besoin d'être sauvées. Bien sûr il y a The Lady of Shalott, qui est à l'origine de tout mon parcours préraphaélite. Et mes contes favoris sont The Twelve Dancing Princesses, Beauty and the Beast, et The Snow Queen. J'ai récemment fini un projet de deux ans où les douze princesses dansantes marchent à travers la forêt enchantée sur les quatre murs de ma salle à manger.

par Red Generation

~ You have three blogs, a married life, a job and you pose for photographers. How do you manage to do everything ? (Vous avez trois blogs, une vie de femme mariée, un travail et vous posez pour des photographes. Comment gérez-vous tout cela ?)

(laughs) One thing at a time, I suppose ! That and an addiction to "to-do" lists. Although I've found a core group of hobbies, I tend to do them in spurts...I'll blog constantly for a little while, and then let it go for a bit to focus on an art project or a new photography concept.

(rire) Une chose à la fois, je suppose ! Ça et une addiction aux "to-do lists". Bien que j'ai trouvé un noyau central d'activités, j'ai tendance à les faire selon l'humeur... Je peux bloguer de façon constante pendant un temps, puis laisser de coté un peu pour me concentrer sur un projet artistique ou une nouvelle idée photographique.

par Ellie Lane

~ Do you plan to write a book about Pre-Raphaelism ? (Avez-vous le projet d'écrire un livre sur le Préraphaélisme ?)

Hmm, I honestly hadn't thought about it. I did toy around with the idea of writing a short story about Burne-Jones encountering a mermaid, although my "potential story list" is long and my time is short. I will say though that I first started my blog on mythic decorating, Domythic Bliss, as a way to potentially write a coffee table decorating book on the same topic someday. That's definitely something I'd still love to do.
My dear friend Kirsty Walker, however, has a phenomenal blog and she's a marvelous writer. She has an excellent biography of Fanny Cornforth called Stunner, and she just released a historic fiction novel about Alexa Wilding called A Curl of Copper and Pearl. I cannot recommend both her blog and her books highly enough.

Mmh, honnêtement je n'y ai pas pensé. J'ai envisagé l'idée d'écrire une nouvelle sur la rencontre de Burne-Jones et d'un sirène, bien que ma "liste potentielle d'histoires" est longue et que j'ai peu de temps. Je dirais donc que j'ai d'abord commencé mon blog de décoration mythique, Domythic Bliss, comme un moyen d'écrire un livre qui peut-être décorera les tables de salon sur le même thème un jour. Ça reste vraiment quelque chose que j'aimerais faire.
Sinon, ma chère amie Kirsty Walker, a un superbe blog et elle est une merveilleuse écrivaine. Elle a écrit une excellente biographie de Fanny Cornforth nommée Stunner, et elle vient juste de sortir un roman de fiction sur Alexa Wilding intitulé A Curl of Cooper and Pear. Je ne peux que recommander à la fois son blog et ses livres. 

par Red Generation

~ Finally, what are your projects for this year ? (Finalement, quels sont vos projets pour cette année ?)

Oh goodness. Well, as I said I just finished the epic dining room wall project, and now I find myself without a huge project and wondering where to go next. I am excited that I'll be doing a photographic collaboration with Rachel Lauren Photography and one of her wolf dogs this spring for a special costumed shoot that will be an homage to a modern surrealist artist's artwork. Beyond that...who knows? I never like to stay idle, however, so you better believe I'll be thinking of and doing somethin !!!

Oh mon dieu. Et bien, j'ai dit que je venais de finir un projet épique pour les murs de ma salle à manger, et maintenant je me retrouve sans gros projet et je me demande que faire ensuite. Je suis excitée car je vais collaborer avec Rachel Lauren Photography et un de ses chiens-loups ce printemps, pour un shoot particulier en costume qui sera un hommage au travail d'un artiste surréaliste moderne. Mais après ça... qui sait ? Cependant je n'aime pas restée inoccupée, alors vous devez plutôt croire que je serai entrain de penser à ou de faire quelque chose !!!

par DividingME


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En découvrir plus :

Le Trottin : chapitre 17

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Lire les précédents chapitres du roman de Christian Jannone.

La cueillette des cerises, Emile Vernon


Chapitre dix-septième


Dix mois auparavant, les premières froidures et gelées du matin envahissaient les pelouses abandonnées de Moesta et Errabunda.  Le parc s’embrumait d’une ambiance sinistre, fantomatique, propre à voir surgir quelques spectres de remords torpides en un ruissellement de créatures de marécages. Les feuilles mortes pourpres, prunes ou ocres voletaient çà et là sous les vents contraires de l’automne, s’agglutinaient dans les ornières où elles formaient des tas pourrissants d’un humus stérile, quelquefois capturées sous une couche de glace que les rayons de plus en plus timides de Phébus peinaient à effacer. A la belle aube, dans l’herbe prise par le givre blanc, le sol crissait sous les bottines des fillettes qui osaient encore une sortie matinale. Même la Marne commençait son embâcle, son onde calme emprisonnée dans une pellicule adamantine et opaline scintillante au soleil levant, glaçure allant s’épaississant de semaine en semaine, qui piégeait les nymphéas moribonds et les dépouilles caduques des feuillus chues en ce lieu. Parfois y venaient des restes desséchés de folioles et de sépales arrachés des prés folasse, des débris de lysimaques, d’asphodèles et d’ajoncs achevant leur processus de décomposition. Les ramures des chênaies terminaient de se dépouiller sous les assauts tempétueux qui dégageaient le ciel, après que se furent succédé de longs jours de pluies glaciales vous trempant jusqu’aux os. Les roseraies se métamorphosaient en simples roncières où finissait de s’étioler l’ultime fleur pâle et tardive, maladive de l’automne, en une lente chute de pétales séchés. Les corbeaux se regroupaient et croassaient, messagers d’un hiver n’annonçant rien de bon. Les efflorescences et fragrances de la végétation brûlée envahissaient tout le terrain, s’insinuant jusque dans les pavillons de l’Institution, tenaces, irritantes, mortifères. Il ne fut lors plus question que les enfants s’aventurassent dehors avant la mi-journée en robes légères aux dessous de mousseline et de faille. Il fallait qu’elles s’adaptassent au général Hiver. L’augmentation conséquente du nombre des pensionnaires provoquait une flambée des dépenses vestimentaires et nutritives. Cela fit la fortune de Madame Grémond qui devint la fournisseuse en linge de Moesta et Errabunda, un linge réservé à d’étranges petites filles modèles, qui comprenait une corsetterie miniature aux tailles de sept à quatorze ans. Des dessous particuliers aussi, dont on se fût attendu à ce que des tenancières de maison de tolérance les commandassent, tant ils comportaient ouvertures, boutons et laçages suggestifs. Cela procura du travail à mainte gamine de filature, va-nu-pieds et sale de figure, comme l’avait été une certaine Adeline Cardioux, une châtain-blond anémique d’environ onze ans, que le révérend Dodgson magnifia et transforma en icône de l’esclavage ouvrier en la photographiant dans son tablier maculé de graisse devant ses fuseaux de coton, pauvresse devenue elle-même entre-temps pensionnaire de la Maison sous le nom de Sixtine. Il fallut donc préparer aux fillettes des toilettes pour l’hiver : pelisses, robes de laine, de mérinos, de mohair, de vigogne et de velours épais, manchons, ganterie fourrée, bottillons du même acabit, chapellerie, bas épais de lainage et lingerie de flanelle. Madame la vicomtesse de** et Cléore se partageaient les frais de ces fournitures, sans que nos industriels du textile et nos boutiques spécialisées de Paris en habits enfantins s’étonnassent outre mesure que celles-ci ne concernaient que des fillettes.

  La Toussaint et le Jour des Morts s’étaient passés sans ferveur aucune pour une comtesse de Cresseville imperméable aux momeries catholiques. La Maison comptait désormais vingt-deux pensionnaires, en incluant la malheureuse Ursule Falconet, et la hiérarchie des couleurs des rubans, enfin arrêtée, put lors s’appliquer toute, sachant que seules Cléore et Délia avaient droit à la pourpre et au noir pour l’une et au fuchsia pour l’autre. Cela donnait aux petites l’allure de colonelles à la bavette. Les fillettes couchaient et se toilettaient alors dans un dortoir unique sauf Délia, Jeanne-Ysoline, Daphné et Phoebé, qui jà faisaient chambrée à part. A dix-huit pipelettes, les choses devenaient ingérables, d’autant plus que les gamines, au lieu de se vêtir ou de se laver seules, chacune dans son tub, ou à son lavabo, voulaient tout faire en groupe afin de s’amuser bellement. C’étaient d’interminables séances de déshabillage ou d’habillage collectif, de barbotage à plusieurs dans des baquets ou des baignoires-sabots à la Marat, de piailleries jactantes, d’assourdissants jabotages de basse-cour où Sarah ne parvenait plus à maintenir l’ordre. Les petites catins déchaînées laçaient et délaçaient sans cesse leurs corsets à trois-quatre dessus, enfilaient bas, pantaloons et jarretières les unes aux autres en riotant de joie. Elles se tâtaient, s’attouchaient, s’exploraient toutes, découvrant mutuellement les secrets de leurs jeunes corps, s’amusant par de troublants jeux avec les fentes des bloomers, appliquant entre elles en d’hardis exercices de caresses tactiles les cours que Délia leur prodiguait pour qu’elles en usassent en principe avec les clientes. Le dortoir se métamorphosa conséquemment, à la grande terreur de Cléore et consort, en coruscantes parties fines et d’écarté entre dix-huit poupées qui expérimentaient des formes juvéniles et cénobites de plaisir. Au petit jour, le dortoir musquait tellement du fait de ces pratiques que Sarah s’obligeait à l’aérer toute la matinée. Quitterie, qui jouait aussi, mais plus discrètement, plus innocemment, avec ses poupées, et se contentait d’une seule partenaire de chair, attrapa à ces occasions une bronchite.  

  Vers la Saint-Martin, Quitterie fut alors si malade qu’on craignit pour sa vie. Elle crachait le sang et dégouttait d’une fièvre malsaine. Il n’était pas question qu’un médecin vînt. Nous rappelons qu’une infirmerie avait été installée dans un des pavillons dès le début, et que Madame la vicomtesse avait recruté deux infirmières d’une dévotion et d’une fidélité à toute épreuve – deux anandrynes bien sûr, dont elle avait contrôlé les qualifications – lesbiennes d’hôpitaux qui sauraient se taire car mieux payées qu’à l’ordinaire. L’une, Diane Regnault, était une sœur défroquée à cause de ses penchants et l’autre, Marie Béroult, une des amantes – et le médecin-femme à titre privé – de Louise B**. Leur dévouement et la cure adéquate, avec les remèdes efficaces et nouveaux venus de la médecine anglaise permirent de guérir Quitterie, qui toutefois demeura convalescente encore cinq semaines. Elle manqua lors la visite d’un hôte de marque : le grand photographe, mathématicien révérend et écrivain anglais Charles Dodgson, lors âgé de cinquante-sept ans. Cléore elle-même ressentait une lassitude certaine ; elle aussi souillait ses mouchoirs de sérosités sanguinolentes. De plus, en ses entrailles fermentaient les résultats des tourments que toutes ces tribades avaient infligés à Poils de Carotte. 

 Répondant à l’invitation de la comtesse de Cresseville, Charles Dodgson arriva en l’Institution le lendemain de la Saint-Martin. Il se présenta en grand arroi, encombré de tout un appareillage photographique et chimique, d’une bibliothèque ambulante composée d’œuvres majeures de George Eliot, Benjamin Disraeli, Alfred Lord Tennyson, Anthony Trollope, Elizabeth Gaskell, Wordsworth, Carlyle, Coleridge, Byron, Swinburne, Elizabeth Browning, Dickens, Keats, Shelley et lui-même sous son nom de plume, sans compter une théorie d’étranges jouets plus intrigants les uns que les autres. Il s’insinua comme un pique-assiette, séjournant trois longues semaines à Moesta et Errabunda, au détriment de ces Dames qui se plaignirent avec amertume de sa présence envahissante. Il perturba même le bourreau de Béthune.

  Alors que la comtesse de Cresseville s’était attendue à ce qu’il jetât son dévolu sur Adelia, du fait que tous deux partageaient une langue maternelle et une culture communes, Dodgson préféra les jumelles, à cause de leur trompeuse pureté enfantine. Le doux, céruléen et grave regard languide attendrissant de Daphné et Phoebé le fascinait. Elles étaient blêmes comme des lys et il les croyait vierges. Il faut dire qu’elles incarnaient un idéal de beauté préraphaélite. La leukémia chronique dont elles souffraient ajoutée à leur presque albinisme les enjolivaient tant qu’elles en étaient devenues le symbole même de la diaphanéité blonde incarnée. Dodgson se les figurait jà dans une nudité idéalisée d’innocence, sans même se douter qu’elles touchaient à l’âge pré-pubertaire. D’après le révérend, leur gémellité sororale constituait à elle seule une énigme mathématique et zoonomique digne de Gauss et d’Erasmus Darwin, tout comme le mystère sanguin de leur maladie de langueur, la soie immanente de leurs longues english curls d’un blond nordique et leur silhouette d’elfes d’une évanescence rare. Il saisit leur unicité gémellaire, leur aspect de Dioscures femelles, peut-être issus de quelque énigmatique parthénogenèse mariale, lui qui n’était pas papiste. Il prenait souventes fois un breakfast anglais en leur suave compagnie, les bourrant à ces occasions de plum-puddings, de plum-cakes, de bacon, de pancakes et de muffins afin qu’elles se remplumassent. Tout en se réjouissant du rosé de leurs joues et du mignon tablier enfilé sur leurs robes blanches qui lui rappelait sa chère Alice telle que Sir John Tenniel l’avait croquée, il poursuivait la manducation matutinale en leur proposant en supplément œufs brouillés ou mollets, sirop d’érable, pâtes de coing et tartines dégouttant et transsudant de miel, de confiture de rhubarbe ou de marmelade d’orange. Les lèvres et les joues maculées, barbouillées, moites et luisantes de toutes ces gourmandises nutritives, Daphné et Phoebé, qui, comme l’on sait, n’appréciaient que les sucreries et le sang, écoutaient lors religieusement le révérend orienter la causette vers des sujets plus philosophiques, vers un tour plus socratique en des dialogues gnostiques, où maïeutique, propédeutique, synecdoques et accolages de mots les ébaudissaient et les distrayaient du fait de la virtuosité de ces figures de style. Studieuses et séduites par les manières et le savoir de ce vieux garçon timide au visage encore étonnamment jeune, porté sur les amies-enfants, elles le questionnaient avec une niaiserie d’oies blanches médiévales, multipliant les naïvetés de lais féeriques du style « Mon révérend, pourriez-vous nous dire s’il est vrai que la Lune, notre Séléné, est suspendue au ciel par des fils de soie ? »

 Pourtant, alors qu’elles faisaient de leur côté des efforts nonpareils pour s’exprimer en alternance dans les deux langues, anglaise et française, sans jamais bafouiller mais toutefois en grasseyant et en blésant, Daphné et Phoebé éprouvaient une gêne sincère face aux laborieux verbiages de bègue du révérend écrivain. 
« Je…je vais vous prop… popr… vous montrer ma valise de …d’énigmes…
- Une valise qui contiendrait des attrapes…
-… et des farces pour nigaudes ? s’interrogeaient-elles, l’une débutant la phrase, l’autre l’achevant, parfois dans une langue divergente. 
- Non…non…pas ce…cela.
- Sont-ce de savoureux bonbons au poivre, ou quelques chocolats aux aulx que vous allez nous proposer, telles ces friandises du démon que Délie nous offrit pour notre anniversaire voilà tantôt dix jours ? Nous avons jà treize ans !
-Je…admi…rez et…vo…voy…ez, misses. Ou plutôt you…young la…dies. »

  Dodgson exhiba d’une mallette de cuir plusieurs casse-tête, objets mathématiques, dont des sphères armillaires képlériennes dont l’emboîtement les fascina. Ce fut surtout ce baguenaudier chinois, ce jeu aux neuf anneaux, qui les passionna le plus. Elles entrevirent quel beau parti jouissif elles pourraient tirer de ce jouet quoiqu’elles en usassent de bien d’autres tout aussi coruscants lors de leurs jeux intimes. Naïf, le révérend croyait s’adresser à d’innocentes amies-enfants. Afin qu’il les dorlotât, Daphné et Phoebé feignaient une mine triste, ouvraient comme des fanaux leurs grands yeux suppliants et mélancoliques, faisaient semblant l’une de se plaindre d’un bobo au petit doigt en y nouant un morceau de mouchoir, l’autre d’avoir mal à la gorge en toussotant sans cesse et en s’exprimant d’une petite voix flûtée quémandant des guimauves. Dodgson, dupe de ces pleurnicheries, les cajolait lors, les embrassait, consolait leurs petits chagrins de poupées qui n’étaient que feintises, en appliquant sur elles un consolamentum, une accolade presque cathare. 

  Le trio se revit chaque jour, jusqu’à ce qu’il vînt l’envie à Charles Dodgson d’immortaliser ces deux petites merveilles sur plaque photographique. Il en informa Cléore et Sarah, leur expliquant qu’il souhaitait que Daphné et Phoebé posassent ensemble pour des tableaux vivants à l’antique. Il s’inspirerait, expliqua-t-il, des peintres situés entre les Carrache, le Dominiquin et Salvator Rosa mais également de peintres anglais contemporains. Il exposa, en un symposium digne d’une apologie de l’Aesthetic movement auquel Cléore adhérait, en quoi consistait l’art de Julia Margaret Cameron, disant, qu’à la manière de cette dernière, il jouerait de l’évanescence pellucide naturelle des jumelles afin que ses clichés apparussent floutés, impressionnistes, pictorialistes et sépia et que l’on perçût seulement les linéaments des êtres irréels dont l’image était fixée. Il ordonna à la valetaille en perruque qu’elle fît de la place dans le grand salon d’honneur, en poussant meubles, sofas, harpe et piano. Ce n’était pas la première fois que Daphné et Phoebé se prêtaient au petit jeu perturbant et connoté de l’art photographique. Elles avaient posé pour une anandryne voici déjà deux mois, leurs corps nus simplement emmitouflés de pelleteries de zibeline et d’hermine, dans des postures d’une lascivité telle que ces épreuves ne purent circuler que sous le manteau parmi de fort spéciaux collectionneurs amateurs de fruits verts.

 Lorsque Sarah, Zorobabel sur l’épaule, vint chercher les jumelles dans leur chambrette qui servait aussi de boudoir spécial, elle les surprit dansant enlacées, sur la musique nasillarde et lente d’un phonographe à cylindre Edison où l’on reconnaissait vaguement le prélude de Lohengrin, toutes soupirantes, le regard embué de larmes, frottant leurs petits nez l’un contre l’autre, revêtues de leurs plus jolis atours de mousseline et de batiste, affichant avec ostentation leurs nœuds bleu-nattier, sachant qu’elles seraient les premières à parvenir au nouveau grade de chamois, promotion promise par Cléore avant la prochaine Saint-Valentin. Sarah interrompit leur étreinte langoureuse d’amoureuses transies. Elle réprouvait ces amitiés étranges, saphiques certes, mais surtout incestueuses, contre nature. En grommelant, sous les sarcasmes du rosalbin qui ne cessait de coqueter, Daphné et Phoebé s’allèrent lors au salon où le révérend avait jà déplié le pied de son appareil et commençait à installer la chambre noire à soufflet. Sarah désigna le paravent de soie chinois au motif de grues cendrées, leur demandant qu’elles se missent en tenue antique pour poser. La vieille juive ordonna ensuite aux larbins qu’ils jetassent plus de bûches dans la cheminée afin que nos petites n’eussent point froid en nu gréco-romain. La manière dont les jumelles interprétèrent cet ordre ne correspondit pas tout à fait à ce qu’en attendait Dodgson : elles étalèrent ce qu’elles entendaient par nudité antique ; c'est-à-dire qu’elles s’affichèrent certes torse nu, mais en pantalons de dessous érotiques, d’une provocation et d’une impudicité inouïes. Cette lingerie apparaissait si ajourée et fendue qu’elle ne cachait point grand’chose de leur anatomie. Dodgson s’en troubla. Il constata que leurs dos se zébraient de cicatrices de flagellation, sport qu’elles pratiquaient à deux ou en compagnie d’Adelia. De plus, si leur peau translucide de vraies blondes était d’une troublante diaphanéité quasi fœtale et intra-utérine, elle exhalait cependant des fragrances brûlantes, musquées, ambrées, fortement aphrodisiaques. Il faut dire que les torses de Daphné et Phoebé paraissaient luire d’une onction d’huile à caractère lustral. Elles aimaient à humecter leurs poitrines naissantes, leur ventre, leur dos et leurs fesses de parfums anciens, d’une extrême vieillesse, épaissis par l’âge, poivrés par leur décomposition, tournés, rancis, huileux et bien violents, propres à enflammer leur désir mutuel, parfums de peau d’Espagne putrescents qui piquaient leurs narines de leur arôme vieillot, comme si on les eût soutirés sous la forme d’un suc résiduel d’un balsamaire, d’un aryballe et d’une pyxide de Halos, d’Herculanum ou de Paestum. A ces humections rituelles capiteuses et épaisses dignes de Bilitis, de Lesbia, de Poppée ou d’Ovide, elles joignaient une cire épilatoire qui les débarrassait du duvet blondin de leurs bras et de leurs jambes, tout en conservant l’essentiel intime naissant. Puis, elles ajoutaient de lents massages de beurre salé suri, qu’elles épandaient sur le dos, le cou, la nuque, l’abdomen, l’entrecuisse et le postérieur, beurre rance auquel elles additionnaient un condiment africain : le karité. Ainsi oints, leurs épidermes aromatisés embaumaient de fragrances vénériennes d’une telle blettissure que les domestiques ci-présents en ce salon avaient grand mal à se retenir de débecter, comme s’ils avaient humé quelque camembert fort antique qui eût servi de mètre-étalon de la puanteur. Les échanges chimiques que tous ces composés engendraient finissaient par produire une admixtion magique d’où émergeait une substance opiacée, sirop ou julep corporels d’un genre nouveau, substance qui abrutissait les fillettes de son prégnant fumet aphrodisiaque huileux. C’était un effluve fauve, un musc primitif, antédiluvien, de l’origine préhistorique de la sexualité humaine.  
  Écœuré, Dodgson ne pouvait qu’être dérangé par les usages singuliers de ces fausses incarnations de l’innocence blonde. Il avait entendu par ouï-dire que, chez les sauvages, plus la femme puait, plus elle attirait le mâle. Il savait qu’en botanique existaient des plantes carnivores qui piégeaient les insectes en exhalant des arômes de bananes pourries. Pour lui, tout allait trop loin dans l’inconvenance. Il harcela Cléore de questionnements au sujet des bloomers de créatures, sans faire cas de la vêture pourtant explicite de Lady de Cresseville, adonisée qu’elle était en femme-enfant modèle aux anglaises carotte, enrubannée de ses faveurs de soie pourpres et noires qui la désignaient clairement, sans équivoque, comme la mère maquerelle de ce duo de jumelles-catins. Pour l’immortel auteur des pérégrinations féeriques d’Alice, la vêture de Daphné et Phoebé (sans parler de leur parfum), équivalait à aller nues comme un saint Jean. Il s’en offusqua :
« La…Lady de Cre…Cresse…Cresseville. Ces…ces pan…pantaloons sont bien…im…pudiques et in…convenants. »

  Dans la prude bouche victorienne de l’ami et créateur d’Alice, c’était là critique bien affûtée. Cependant, l’élément obscène de la lingerie des deux inséparables gaupes miniatures, qui dévoilaient sans retenue leur douce peau nymphéenne apogonotonique1, n’était pas le seul composant turbide qui pût choquer notre puritain, en plus des humections chancies et des traces dorsales de coups de fouet : ce linge reprisé suait en lui-même une saleté subtile, souffrait jusqu’à la trame cotonnée des traces d’une perspiration de diaphorèse, d’une transsudation intime, en cela qu’y persistaient d’indéfinissables marbrures aux parties ajourées de l’étoffe. C’était jauni, croûteux, immonde d’une sanie séchée mêlée à un je-ne-sais-quoi d’écoulements. Dodgson se contraignit à harceler Cléore à ce sujet ; il tempêta :
« Êtes-vous bien certaine, my lady, de…de me garantir l’hygiène soi-disant irréprochable de vos deux petites pensionnaires ? Je perçois en cette lingerie maintes traces, survivances discrètes, certes, mais qui per…persistent, d’un quelque chose que je qualifierais de…de cho…quant et d’impu…dent. Me garantissez-vous, Lady Cléore, que Daphné et Phoebé, baronnes de Tourreil de Valpinçon, se changent tous…tous les jours ainsi que nous l’imposent nos modernes hygiénistes ? Déjà que leur peau, enduite de ces soûlants parfums rances, m’incommode fort…
- Elles changent effectivement leurs chemises et bloomers chaque jour.
- Mais alors, ces traces de…saleté, sont…sont-ce ? …J’a…j’avais de…demandé…que vos…vos jumelles, en sous-entendu, certes, se drapassent à la grecque…co…comme la Vénus de Milo ou la…Victoire de Samothrace…, non point qu’elles…missent ces hideux pantaloons souillés et ouverts de … partout. Ils sont…çà et là jau…jaunis…On croirait qu’elles ont subi quelque…épanchement d’incontinence…d’un organe é…émonctoire2. »

 La comtesse de Cresseville refusa de répondre. Elle ne pouvait décemment dévoiler la vérité au révérend, cette vérité qu’entreverra Jeanne-Ysoline l’année suivante. Daphné et Phoébé avaient beau renouveler leur linge, ce dernier avait beau subir des lessives répétées, il demeurait toujours des traces de leurs ébats d’affection sororale. Comprenant cependant le reste – fondé – de la critique de son éminent hôte, elle demanda à Sarah d’apporter deux petits draps propres d’une blancheur de vierge. Cléore avait veillé à ce que ces draps ne fussent ni empesés, ni apprêtés. Elle bannissait tous ces empois à base d’eau gommée. Il fallait à présent que les jumelles ôtassent leurs pantalons et ceignissent leurs reins de ces sortes de pagnes grecs ; qu’elles en fissent des draperies antiques. Elles prendraient lors l’aspect de statues marmoréennes de nymphes de Praxitèle et de Scopas et seraient prêtes pour chaque cliché. Il fallait que ces photographies sublimassent et magnifiassent ces deux fragiles enfants, qu’elles demeurassent pour l’éternité dans la mémoire des hommes, bien au-delà de leur trépas, icônes des plus jolies fillettes que le Créateur eût jamais engendrées. C’étaient comme des anges de Bouguereau et Julia Margaret Cameron, mais des anges ambigus, qui eussent pu devenir des change-sexe, tel ce prince Isolin devenu Isoline, en cet opéra-comique enchanteur dû aux talents conjugués de messieurs Catulle Mendès et Messager, lors donné l’an passé. 

 De fait, le révérend avait l’intention de ne prendre que trois photographies mettant en scène Daphné et Phoebé en des réinterprétations d’œuvres baroques ou modernes : 
- Melpomène en Perséphone, de Lorenzo Lippi ;
- Peinture et Poësie, de Francesco Furini ;
- Le Tepidarium, d’Alma-Tadema.

  Les peintures numéros une et trois, en principe, ne représentaient qu’un seul personnage du beau sexe : il s’agissait donc d’une traduction photographique radicale des sujets. Seules les allégories de l’œuvre seconde impliquaient d’évidence un duo féminin, mais son caractère revêtait une telle connotation saphique implicite que les plus grands exégètes et interprètes qui s’étaient succédé pour lui attribuer un sens caché n’y avaient tous vus qu’une apologie de l’amour entre femmes. De plus, Le Tepidarium, qui comptait parmi les plus récents chefs-d’œuvre de l’école d’Angleterre, apparaissait comme emblématique de ces Arts for art’s sake esthétisants que Cléore adorait.  Enfin, au grand dam de la rigoriste Sarah, alors que Melpomène, notre immortelle muse de la tragédie, était correctement vêtue chez Lippi, il n’en allait pas de même dans le projet de Dodgson. Et l’ultime cliché impliquait que Daphné et Phoebé posassent dans le plus simple appareil d’Eve, alanguies lascivement chacune sur un sofa en vis-à-vis, avec un éventail de plumes d’autruche cléopâtrien en guise de cache-sexe ou de cache-misère, telles des allégories érotiques de la gémellité.

  Il fut lors convenu que les gamines se positionneraient vers le fond de la pièce, là où la lumière pénétrait le moins, à proximité desdits sofas, lors poussés, ce qui nécessitait un éclairage artificiel de chandeliers et candélabres et l’utilisation par le photographe d’une espèce de poudre inflammable éclairante à base de magnésium qu’Outre-Manche on qualifie de flash. Les valets en livrée et perruque étalèrent des tapis de Perse décorés de fleurages, aux arabesques et guirlandes orientalisantes, perses sur lesquelles les jumelles allèrent placer leurs pieds nus poupins. Ils ajustèrent avec leurs mollettes, avant qu’elles fussent ignées, les mèches des bougeoirs portatifs à huile, dont le verre et le cul-de-lampe avaient été astiqués au tripoli. Ils vérifièrent le bon état des charmilles et corbeilles de cire, authentiques strelitzias, paulownias, rauwolfias et dahlias embaumés et conservés à jamais grâce à un procédé adapté des écorchés de Fragonard, qui comportait l’injection dans les vaisseaux des plantes de plusieurs solutions colorées cireuses. Les murs aux boiseries cinabres, quant à eux, s’ornaient de tapisseries représentant Sainte Cécile à la viole de gambe, d’après une peinture célèbre du Dominiquin, et l’histoire d’amour romanesque de Pyrame et Thisbé. 
  Les domestiques tendirent d’abord les draps comme des paravents. Derrière, nos deux petites coquines se débarrassèrent de leurs pantalons en gloussant comme deux maries-salopes fomentant un mauvais coup, sous-vêtements que leurs pieds repoussèrent avec négligence hors de leur champ comme on le fait du linge sale (ce qu’ils étaient pour Dodgson). Une fois leurs reins bien drapés, Sarah fit apporter des boîtes à fards et à kohol : on les maquilla, poudra leurs joues, passa du rouge d’Espagne sur leurs lèvres, rehaussa leurs sourcils au crayon, farda leurs paupières de bleu cobalt etc.

  Ainsi apprêtées, s’étant disposées pour leur premier tableau vivant sans qu’elles sussent encore la pose exacte qu’elles devaient prendre et les accessoires qui devaient parfaire l’épreuve photographique, elles prirent avec justesse un regard vague, éteint, absent, extraordinaire de détachement, en fixant l’objectif de l’appareil de celui qui signait ses œuvres littéraires et iconographiques du nom de Lewis Carroll. 

 A la vue des deux jolies et faussement sérieuses enfants, fin préparées en nus mythologiques pour leur séance de poses suggestives, désormais presque aussi peinturlurées que des lorettes de bas étage, Charles Dodgson se troubla une deuxième fois. Ce fut Phoebé, la souffreteuse et vaporeuse Phoebé, qui alluma surtout la flamme de son plaisir. Elle était d’une gracilité inouïe, d’une grâce extraordinaire, surnaturelle, et quasiment divine. Son corps de frêle poupée blondine de treize ans exsudait une sensualité torride. Sa taille étranglée de meurt-de-faim luminifère, de petite nymphe éthérée des sous-bois et des sources, avivait particulièrement les sens du vieillissant révérend-mathématicien. Il faut dire que la petite maligne avait exprès ceint et noué son drap-pagne de biais et très bas, plus bas que sa ceinture pelvienne, ce qui permettait de deviner de face son provocant et duveteux triangle pubien tandis que de dos se révélait une partie non négligeable de ses petites fesses de dryade marquées de traces de sévices divers, de coups assenés par sa sœur lors de bien spéciales parties de plaisir sadiques, fesses tuméfiées, constellées de bleus violacés et de rougeurs malsaines, provoqués par ce que celui qui se faisait appeler Lewis Carroll supputait être soit une pelle à tarte, soit une trique de châtiments corporels à l’anglaise. 
 Ne voyez point, amies lectrices, dans cette passion naissante du savant-écrivain pour une nouvelle et fort mignonne amie-enfant, un quelconque outrage aux bonnes mœurs ou la perversité torve d’un satyre. Ces sortes d’amours pour de petites filles pré-pubères sont choses bien courantes dans notre Occident évolué. Pour ceux qui en ont assez de leur femme opulente et goitreuse, qui craignent que les créatures ne les vérolent, Daphné et Phoebé, avec leurs seins naissants et leur esquisse de toison pubienne, représenteraient une excitante alternative dont il serait de bon goût de s’extasier dans les salons fréquentés par la bonne société et les gens comme-il-faut.   

  Dans l’ensemble, avec leurs boucles torsadées de couleur paille dorée qui tombaient sur leurs épaules, sur leurs mamelons pointus jà aréolés et à la naissance de leur postérieur, Daphné et Phoebé étaient à la semblance de korês archaïques, de ces cariatides de temples grecs au sourire primitif. Elles incarnaient une version neuve du mythe de l’éternelle jouvence, tant enviée par la fleur qui passe et s’en va s’étioler. Plus tendres qu’un oison, plus melliflues qu’un nectar, plus ambiguës qu’un julep de Des Esseintes, telles se présentèrent devant la chambre noire Daphné et Phoebé baronnes de Tourreil de Valpinçon, idéaux gémellaires, en leur premier tableau vivant, Melpomène en Perséphone ou la Muse lugubre, d’après Lorenzo Lippi. Le principal accessoire de cette mise en scène consistait en un masque énigmatique, un faux-semblant d’identité dévoilant le vrai visage de la muse, l’autre élément allégorique étant la grenade éventrée. 

 Nous aimons à rappeler ici la symbolique de la grenade, fruit de la vie, de la fertilité, de la puissance, fruit de sang et de mort. La symbolique est tout autant chrétienne car la grenade représente l’Ecclesia, la Création dans la main de Dieu et Jésus-Christ lui-même. 
 Faute cependant de disposer de grenades authentiques, il fallut se contenter d’imitations. Par chance, les collections sulfureuses de bibelots de Moesta et Errabunda regorgeaient de faïences de toutes sortes, zoomorphes et plantiformes (c’est-à-dire végétales), volailles, hures et fruits factices de Sèvres, de Saxe ou de l’école d’Alsace, grappes de raisins, pampres, melons, pastèques, coloquintes, poireaux ou citrouilles. Deux sphères grenadines de l’atelier d’Hannong firent l’affaire. 
  Conformément à l’opus baroque de Lorenzo Lippi, notre couple de fleurs du mal pré-nubiles devait tenir la grenade en sa senestre main et le masque en la dextre, presque à portée de leur visage chérubin. Ce masque, comme s’il eût été conçu pour camoufler la défiguration d’une prostituée vitriolée, alimentant ainsi les fantasmes les plus crus du client, ne devait présenter aucun trait particulier, être uni, sans aspérité, de teinte chair, les lèvres pourpres, le sourcil fin et noir, substitut idéal de ce qu’il fallait cacher. Or, les accessoires de Dodgson différaient du modèle de Lippi : ils arboraient une chevelure de franges ou de raphia, agreste, primitive, révélant ainsi une origine exotique, dans un sens topique, du fait qu’ils reflétaient plus l’idée que l’Occidental se faisait du masque de sauvage Papua qu’une œuvre authentiquement façonnée par un vrai cannibale de la rivière Sepik. Phoébé, jamais en reste de perversion et de taquinerie, ne respecta pas les directives du révérend-mathématicien. Son drap presque tombant, ayant lors glissé au haut de ses cuisses, ne tenant plus que par miracle, elle usa de son masque comme d’un cache-sexe, plus exactement d’un visage pubien de démon-succube tels qu’on les rencontrait dans les représentations picturales des enfers au Bas Moyen Âge. 

  Dodgson se fâcha, l’apostropha, l’admonesta, car la petite catin usait de ce masque comme d’un éventail, éventant cette blonde intimité triangulaire troublante qu’elle cachait puis dévoilait en d’incessants va-et-vient de l’accessoire, vicieux, opiacés et nonchalants, comme si elle eût eu grand chaud. Il ne manquait à cet éventement que le bruit du déplacement de l’air, bruit qu’eût pu reproduire le grand Nikola Tesla, grâce aux artifices de l’électricité et du magnétisme, en produisant ainsi une musique électrique et acoustique du futur. 
« Miss Phoébé exhibe trop son…son … Elle devrait re…remonter son…drap. J’ai beau la…la gronder…elle…elle n’obéit pas…n’est-il pas ? »
 Cléore, salace, répondit avec des sous-entendus, prouvant qu’elle s’y connaissait en matière de gaudriole.
« Mon révérend, susurra-t-elle, vous voulez sans doute parler de ce que vous, Anglais, avez baptisé her she pussy-cat. » 
  Charles Dodgson en devint pourprin car il avait saisi les propos osés de la comtesse de Cresseville.  Il fallut que Sarah rajustât elle-même le drap-draperie à la bonne hauteur du bas-ventre de la poupée-putain pour que tout rentrât dans l’ordre. Alors, Lewis Carroll prononça la phrase rituelle : « Ne bougeons plus ! ». Il se retint d’ajouter : « Le petit canari va sortir. » La poudre s’enflamma et fit un éclair ; les yeux des jumelles clignèrent, car éblouis : le premier tableau vivant était enfin photographié.  

  Vinrent lors Peinture et Poësie, de Francesco Furini. Nos deux galopines délurées purent dès lors prendre leurs dispositions pour cette deuxième photographie, ouvertement saphique. Les valets étalèrent à leurs pieds des paillassons de piassava aux motifs Liberty. Non pas qu’il fallût qu’elles s’y vautrassent : des sièges curules à la romaine, capitonnés de velours pourpre, furent dépliés sur ces paillassons et Dodgson demanda à chacune de s’y asseoir. On posa sur leur chef une couronne de lauriers. Daphné devait figurer la peinture, Phoebé la poësie. Dans le tableau original, il s’agissait jà de jumelles. Peinture, ses attributs en main (pinceaux et palette), devait enlacer Poësie qui tenait les siens (plume, stylet entre autres), dont un des masques de tantôt, tout en présentant frontalement son visage à Dodgson en effleurant la joue de sa sœur poëtesse de ses lèvres carmines. Face à l’objectif, prises d’un accès torpide, elles parurent s’abandonner à un engourdissement digne d’un fumeur de kif, que l’on dit aussi haschisch. Il était à craindre qu’à force de se mal conduire et d’afficher leur turpitude au grand jour, nos blondines ne provoquassent un esclandre. C’est ce qu’elles firent d’ailleurs, prêtes à un tumulte pis que l’ouragan d’un tempestaire de Pleumeur-Bodou. Phoebé-Poësie ne se gêna aucunement de bécoter Daphné-Peinture au cou et à la naissance de la gorge, en des mamours évocateurs. Elle descendit ensuite jusqu’au téton droit qu’elle suçota. Alors, le révérend explosa d’une saine colère. 

 « Mesdemoiselles, fulmina-t-il, ce n’est pas ain…ainsi que…que j’entendais que l’on po…posât ! »

 Toutes à leur passion, nos deux coucous maigrichons se moquaient bien des préjugés victoriens du révérend Charles Dodgson. Si jamais il lui venait l’envie d’ébruiter, d’étaler sur la place publique ce qui se passait à Moesta et Errabunda, épreuves sur papier salé ou albuminé ou plaques de verre à la main, on l’accuserait lui –même d’être un pornographe et de véhiculer conséquemment des fadaises. On le traînerait peut-être en justice pour obscénité aggravée. Autour de lui, tout ne serait que querelles de quenelles entre puritains et partisans de l’amour libre. Sarah eut beau menacer les deux poupées de sa trique, rien n’y fit. Ce fut lors que Cléore commença à envisager une charte de bonne conduite et une échelle de punitions bien graduée, avec sarrau de bombasin et corrections publiques. Mais pour cela, il lui fallait imaginer une figure effrayante de mère fouettarde… L’origine de la Mère naquit à l’occasion des transports des deux sans-gêne sous les yeux de Lewis Carroll. Le temps de pose étant assez long, elles continuèrent à n’en faire qu’à leur guise, quelles que fussent les injonctions du mathématicien. Phoebé reprit son suçotement du mamelon droit de sa sœur, qu’elle transforma promptement en mordillements qui arrachèrent à la consentante enfant des gloussements de dinde en extase. Phoebé mordit si fort qu’elle fit saigner la mignarde mamelle saillante. Sa langue lécha les gouttelettes de sang qui perlaient du petit sein aux ourlets de sa bouche rosée et maquillée tandis qu’en réplique, de sa main gaillarde demeurée libre, Daphné s’insinuait sous le drap-pagne de son alter-ego afin d’attoucher et d’exciter indécemment ce que l’on devine. Dodgson était atterré par les mœurs débauchées des jumelles, dont les grands yeux cernés de petites filles fragiles au teint pâle semblaient lui jeter un défi. 
 Dépité, il se résigna à prononcer la phrase fameuse : « Ne…ne bou…bougeons plus. », plus bègue que jamais. L’éclair éblouit les deux perverses qui, enfin, s’interrompirent. Le plus difficile restait à faire : le dernier cliché, qui impliquait la nudité intégrale des modèles. En principe, elles eussent dû s’allonger en vis-à-vis sur deux sofas jumelés, l’une de dos, l’autre de devant, mais Lewis Carroll refusa que l’une ou l’autre montrât ses cicatrices de flagellation dorsales et les bleuissures de coups de trique des fesses. Elles furent donc disposées chacune de face, avec un éventail de plumes d’autruche, de casoar et d’émeu posé à l’endroit stratégique pubien. Elles s’anonchalirent sur de vastes peaux d’ours recouvrant leur sofa. Afin de se conformer à l’opus d’Alma-Tadema tout en le réinterprétant, Lewis Carroll fit placer en sus des bouquets artificiels d’œillets et de géraniums. Le révérend, qui en avait assez, expliqua qu’il comptait user d’un nouveau procédé d’émulsion inventé depuis peu, plus adéquat que le collodion humide qui commençait à dater : le gélatino-bromure d’argent, conçu en 1872 par Richard Leach Maddox et amélioré par Harper Benet afin que le temps d’exposition fût beaucoup plus rapide. Il se fit apporter un appareil plus petit et plus maniable, avec un nouveau système révolutionnaire d’obturation de l’objectif, qui permettait de faire des ouvertures dites à l’iris. 

  Il n’était plus temps de s’encolérer ou de s’acoquiner avec un ramasse-burette. Bonnes filles, Daphné et Phoebé décrétèrent une trêve des sens et firent la paix avec Dodgson ; elles avaient obtenu gain de cause. Elles savaient ne rien redouter ; nulle correction ne leur serait infligée pour l’heure… Le Tepidarium, pourtant si lascif du fait de l’audace de ses nus orientalistes d’odalisques impubères, fut lors le plus facile à photographier bien qu’il consistât en un manifeste de la nudité enfantine artistique faussement innocente, allant bien au-delà de ce que la décence anglaise permettait et exigeait. Il fallait s’attendre à l’avenir à ce que nombre de gentlemen portés sur les fillettes pratiquassent le rite d’Onan en leur cabinet privé, en s’extasiant sur la copie de ce cliché par eux possédée. Grâce à Daphné et Phoebé, les ventes de corsets de lutte contre l’onanisme masculin feraient des bonds incroyables. 

  Dès que le petit serin fut sorti, nos Dioscures femelles s’étirèrent sur leurs peaux d’ours en poussant des soupirs d’aise. Leurs petites bouches émettaient des mmm d’extrême contentement d’elles-mêmes, comme si elles eussent émergé de la douceur d’une relation charnelle. Une fois debout, Sarah s’empressa de couvrir leur pudeur de leur drap d’Aphrodite, car, marmottait-elle « tous ces étalages de chairs de vierges pré-nubiles concupiscentes avaient assez duré. » Elle leur ordonna de s’aller revêtir décemment après s’être lavées car leurs miasmes prégnants l’insupportaient. Mais Phoebé traînait des pieds. Elle s’adossa à un mur mitoyen au corridor menant à l’escalier principal du pavillon et jeta une œillade au révérend encore à peine vêtue de son drap. C’était une invite explicite au baiser furtif et à la caresse discrète osée. La fillette avait juré qu’elle se paierait la tête de Dodgson. Elle rabaissa de nouveau sa draperie sur son bassin, en dévoilant ses tendres pousses de poupée indécente. Par ma foi, c’était là une jolie manière d’aguicher notre hôte. Notre mathématicien se troubla pour la quatrième fois devant ce modèle tentant qui multipliait les avances torves et dont la translucidité opaline n’était pas le moindre de ses atours et de ses charmes. 
« Embrassez mes petits seins, my friend. », susurra-t-elle en grasseyant sur le ton d’une mademoiselle j’ordonne s’amusant du pucelage d’un jeune fat acnéique. Phoebé s’arqua et se cambra, afin que ses tétins saillissent avec agressivité, dans une posture que Délia lui avait enseignée, tandis que ses mains achevaient de rabaisser son drap-pagne au ras de son pubis dont le duvet naissant, folâtre, brillait à la lueur d’un candélabre comme une abeille d’or. La petite gaupe gonflait et avançait ses lèvres pour administrer un suçon à Dodgson dont l’excitation masculine devenait insoutenable. Alors, en un geste brutal, inattendu, elle plaqua sa main droite en l’entrejambes de l’écrivain photographe, et, à travers l’étoffe de son pantalon, palpa et pinça ses parties. Un hurlement de douleur s’ensuivit. Attouché, presque violé par une petite garce de treize ans, Charles Dodgson la gifla sans retenue, jusqu’à ce qu’elle jouât de son côté petite fille et pleurât telle une jolie enfant gâtée capricieuse dont on aurait brisé la poupée Bru. En riposte, par esprit de revanche, Phoebé mordit le mathématicien à l’index droit dont elle lécha le sang. Elle ne cessa ensuite de jeter des menaces de sa bouche maculée à travers ses pleurnicheries hypocrites : 
« Je le dirai à Mademoiselle Cléore qui vous punira et vous chassera d’ici ! On ne frappe pas impunément une baronne de Tourreil de Valpinçon, monsieur ! » 

  Daphné rappela à l’ordre sa catin gémellaire : « Phoebé, as-tu fini ? Viens donc, il se fait tard… Nous devons nous toiletter et rhabiller pour le souper. »

  Une fois hors de portée des adultes, toutes deux pouffèrent, en petites filles dont les connaissances dans les matières choquantes étaient fort étendues pour leur âge tendre. Phoebé susurra à sa tendre moitié : 
 « Si un Anglais avait rapporté le juron que Dodgson a lancé lorsque j’ai pressé ses parties, il aurait écrit : « Shit ! he ejaculated. »
 Tout se conclut par un effroyable éclat de rire alors que le duo démoniaque rejoignait sa chambre. 


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  Nos deux innocentines avaient conçu un langage secret, codé et fleuri, sorte de babélisme amphigourique qu’elles utilisaient pour consigner en des carnets intimes, reliés en cuir de Russie, écrits à deux mains, toutes les cochonneries et polissonneries auxquelles elles se livraient sans trêve. Afin de faire accroire à l’aspect anodin de leur chaude prose, elles renforçaient son inintelligibilité en y accolant des illustrations décalquées des chefs-d’œuvre enfantins permissifs de l’immortel auteur Teuton des inénarrables Max und Moritz. Les dessins humoristiques du sieur Wilhelm Busch qui avaient leur préférence étaient extraits de Die Fromme Helene, La pieuse Hélène, cruelle et cynique historiette satirique et antireligieuse d’une jeune ivrognesse brune au physique ingrat de lévrier Sloughi, qui priait la Vierge (et accessoirement feue sa maman) en promettant de ne plus jamais toucher à la dive bouteille. Cependant, in vino veritas : la bonne bouteille de vin sise près de la lampe à pétrole s’avérait si tentante qu’Hélène, abandonnant ses dévotions, y succombait et la vidait toute. Dans son ivresse, elle renversait le luminaire et périssait carbonisée : l’ultime dessin sarcastique et morbide de l’historiette moralisante et acerbe représentait l’âme de la jeune soûlarde s’envoler des restes consumés de son cadavre. 

 Cependant, Daphné et Phoebé noircissaient une telle quantité de carnets que ceux-ci n’y suffirent plus. Elles durent y accoler des paperolles, parfois récupérées de papiers aux usages les plus vils. Les deux empuses affectionnaient ces fameux rouleaux hygiéniques révolutionnaires importés du Reich bismarckien, ce qui fâchait Cléore. La comtesse de Cresseville les sermonnait, leur rappelant que mieux eût valu que des fillettes comme elles réapprissent à se torcher à l’ancienne. Il faut dire qu’usant du savoir-faire acquis auprès de leur oncle Dagobert-Pierre, Daphné et Phoebé excellaient à réutiliser lesdits rouleaux pour une utilisation moins triviale que celle pour laquelle on les avait conçus. 
  Adonc, il nous faut bien en venir aux crus et menus détails sur les mœurs particulières des jumelles. Elles n’aimaient pas seulement parfumer leur peau nue de chancissures antiques. Elles adoraient les épices, aussi. Vêtues de leurs seuls pantalons ajourés à triple ouverture érotique, elles se livraient ensemble à de longues séances de saupoudrage et d’assaisonnement de leur épiderme rose : elles saupoudraient torse, dos et abdomen de piment de Cayenne pilé, épiçant ainsi leur corps de sylphides, puis se léchaient à s’en enflammer les papilles et les sens. En anglais, on les eût surnommées spicy girls. Elles s’allongeaient l’une l’autre sur leur couche après que chacune eut pimenté sa mie, leurs bloomers fendus abaissés fort bas sur leur pelvis. Alors, Daphné et Phoebé partaient à la découverte tégumentaire l’une de l’autre, s’encourageant mutuellement de leur langue. 
  L’absorption de la poudre de piment ne tardait pas à produire ses effets. Filles en feu, elles s’abreuvaient lors et urinaient d’abondance. La valetaille avait dû équiper leur chambre d’une quantité pléthorique de baquets d’eau fraîche et de vases de nuit, sachant ce qu’elles allaient en faire. Perdant alors leur dernier vestige de pudicité et de bienséance, elles arrachaient l’ultime pièce de lingerie les couvrant encore – pour rappel, leurs pantalons brodés, festonnés et ouverts jà abaissés -  et se mettant à croupetons, déversaient leurs flots urinaires alcalins aussi intarissables et insondables que le tonneau des Danaïdes, dans des coupes étrusques hellénistiques à engobe noir, des canthares ornés de figures noires dues au peintre d’Andokidès, ou encore des vases sigillés gallo-romains d’un beau rouge en provenance des ateliers de Lezoux et de La Graufesenque. Certains de ces récipients antiques étaient gravés de ciselures obscènes, d’une extrême lubricité, annonciatrices de ces décors de vases ou de coupes taillés au burin et rapportés par Brantôme dans son Discours premier des Dames Galantes, œuvres impures qui s’inspiraient des célèbres Positions de l’Arétin.  On reconnaissait par-là des cadeaux d’Elémir, toujours lui. Les mictions incoercibles des jumelles en avaient pour des litres et des litres. Leurs intestins irrités et tuméfiés par l’abus d’épices de Calicut, de Cathay, du Coromandel, de Zanzibar, de Cipango et de Formose entraient ensuite dans la danse jusqu’à de malséantes manifestations de diarrhéiques sur lesquelles nous ne nous étendrons pas davantage, ne goûtant guère à Rabelais.

 Sans trop s’en rendre compte, impures se croyant encore pures, Daphné et Phoebé contribuaient par leurs hauts faits à la déliquescence de Moesta et Errabunda. Qui mettrait la main sur leurs carnets intimes et parcourrait leurs pages et paperolles d’un œil indiscret, les huerait et vitupérerait, à condition toutefois qu’on en déchiffrât le code. Quant à Lewis Carroll, il avait renoncé à cette paire de petites diablesses auxquelles n’eussent manqué que les petites cornes, préférant terminer son séjour en parties de thé, de croquet, de volant et d’énigmes mathématiques avec d’autres amies-enfants plus acceptables : Jeanne-Ysoline, Sixtine et surtout la petite nouvelle Nelly-Rose et ses padous tout blancs. Séduit par sa mélancolie et ses grands yeux pleureurs, Dodgson ne cessa pas de la gâter et de la consoler en lui offrant de petits gâteaux anglais que l’on nomme cookies. La tristounette petite rousse regrettait encore la perte de son singe et de son orgue de Barbarie. Ce fut tout juste si le révérend ne manqua pas l’emmener avec lui tant elle était adorable et attendrissante. 

  La seule leçon que Daphné et Phoebé avaient retenue de leur rencontre avec Charles Dodgson était d’ordre technique : telle une Castiglione, elles se prirent d’une passion immodérée pour la photographie. Certes, outre les trois clichés vaporeux incriminés tantôt, dignes de Bilitis et de Sappho, avec leurs vestiges suggestifs de draperies grecques qui les dévoilaient plus qu’ils les vêtaient, sans omettre l’épisode de l’anandryne avec l’épreuve aux pelisses, les jumelles avaient dû se soumettre aux nouveaux rituels d’enregistrement des gamines instaurés par Cléore, à ses photos décrites plus haut. Cléore avait usé, comme l’on sait, des méthodes de catalogage de Monsieur Bertillon et de l’anthropologie physique de Paul Broca. Daphné et Phoebé s’étaient donc pliées à la mesure de leur angle facial et à celle de leur capacité crânienne – que Mademoiselle de Cresseville trouva bien supérieure à celle des femmes adultes ordinaires réputées fort idiotes -  conformément au traité américain dit Crania Americana de Samuel George Morton, publié à Philadelphie en 1839. 
    Cependant, se prenant au jeu de l’œil de la camera oscura, nos Dioscures firent l’acquisition de leur propre appareil à la condition que Délia officiât tandis qu’elles se mettraient en scène. Elles avaient décidé exclusivement de fixer sur l’image leurs pratiques spéciales et démentielles à connotation saphique. Elles s’arrangeaient à être préalablement dans les vapeurs, ayant fumé un mélange extravagant mêlant opium, kif, bétel et nard. Ainsi ensuquées, comme l’on dit chez les Occitans, elles se préparèrent lors pour la première photographie en leur chambre boudoir sous l’œil attentif de Délia. Gaie comme un pinson, la jeune dépravée d’Erin admira Daphné déshabiller sa sœur à demi assommée par les stupéfiants, jusqu’à ce qu’elle ne conservât que bottines noires, bas, jarretières, pantaloons, et une sorte de mignonne chemisette de lingerie brodée toute légère, sans manches, lacée derrière, qu’elle laissa grande ouverte sur le dos afin qu’apparût la peau nue de Phoébé. Puis, elle suspendit cette dernière, qui gémissait, au lustre à girandoles, en l’attachant avec des cordages très serrés, de manière à ce que ses jambes pendissent sans tabouret ni escabeau pour retenir ses pieds. Tenue par la seule force de ses bras, la mignonne poupée en dessous, la peau des bras presque arrachée par la forte corde de chanvre, poussait de petits hululements de douleur et de plaisir. Lors, Daphné se saisit de l’arme de géhenne, un battoir à tapis, élargit l’ouverture de derrière des panties de coton de sa jumelle insigne jusqu’à déchirer cette fragile lingerie fine et commença à la raviver en la battant aux fesses et au dos, comme elle l’eût fait d’une perse empesée de poussière, en demandant à Adelia de prendre lors le cliché. Elle avait placé un vase de nuit de Delft sous les pieds oscillants de Phoebé, en prévision d’éventuelles excrétions inconvenantes qui ne manqueraient pas de jaillir de son entrefesson à cause de l’excitation provoquée par les coups de battoir. 

  L’afflux traumatique, thanatonique et érotique prodigué par le châtiment corporel savoureux rallumait l’éclat céruléen des prunelles de la jolie enfant jusque-là vitreuses et hyalines, ce qui trahissait son état de droguée. Plus les marbrures violines augmentaient, plus la sensation de délice submergeait notre jumelle. Daphné poursuivait sa tâche punitive, et, lorsque son œil exercé constatait la manifestation indéniable de l’extase sur le linge de Phoebé, elle cessait là. Tel un épulon présidant à la préparation d’un festin antique en l’honneur d’un dieu indigète gréco-romain, elle laissait s’extravaser des pantaloons, se déverser dans le vase de Delft le liquoreux cédrat de l’aimée-double, cette offrande, ce nectar mystique qui servirait d’oblation aux trois jeunes gosiers sis en cette chambre de bamboche. Il n’était point rare qu’à cette ambroisie ou à cet hypocras féminin se mélangeassent des sanies diverses de cette nymphe ne se retenant mie. Lors, Délia prenait une deuxième photo. Vidée, si l’on peut l’écrire, Phoebé retombait peu après dans son inertie d’opiomane. 
  
 Les personnes prudes, que je suppose offusquées et choquées par cette scène scabreuse et libertine, si elles se lassent de tout ce déballage inconséquent et complaisant de débauches, sont autorisées à sauter des pages et à se rendre à l’instant où Monsieur Nikola Tesla, le concepteur de la Mère, de la serre solaire, du double-transfuseur sanguin électrique et d’autres choses encore, entre en scène. Les autres, moins pudibondes, peuvent poursuivre leur lecture édifiante de tous ces éloquents et pétulants exploits de candides expertes d’à peine treize ans fêtés depuis quelques jours.

  Adonc, pour les courageux et courageuses hypocrites (certains et certaines peuvent se voiler la face tout en feuilletant en cachette ce roman d’Ancien Régime), nos Dioscures de la nouvelle Gomorrhe aimaient à ce qu’on les liât ventre à ventre à l’aide de bandelettes de lin et de jute qui servaient d’ordinaire à confectionner ces fameux pagnes de fakirs hindous et autres brahmanes mendiants, réputés parcourir les campagnes en quémandant quelques roupies, moyennant une petite représentation de leurs tours. Ce pagne en bandelettes, immémorial dessous jà inventé sous l’Antiquité égyptienne, écru et moisi, les ceignant toutes deux, Daphné et Phoebé utilisaient encor Délie comme comparse de leur salauderie en lui demandant de leur apporter les différents instruments de plaisir doloriste. Nues à l’exception de leurs bas et bottines et de la saleté les entourant et les attachant telles des siamoises (en cela, quelques mois au-delà, ainsi que nous l’avons jà rapporté, Jeanne-Ysoline devinera leurs penchants), tissus pourris d’une teinte terreuse qu’on eût crus tirés de quelque momie de Psammétique rongée par l’humidité du Delta du Nil, les jumelles, disions-nous, désignaient à Délia, parmi les instruments qu’elle leur présentait sur un coussin de velours grenat, ceux ayant ce jourd’hui leur faveur sadique. Je ne vais pas vous faire accroire à une resucée du marquis de Sade mais vous exposer de nouvelles inventions de plaisir, héritées de l’Art pour l’Art et de l’exotisme anglomane du magasin Liberty. Sachez que lorsqu’on musarde et furette dans les docks londoniens, à Wapping, Whitechapel ou Limehouse, on peut mettre la main sur les objets les plus incroyables destinés à un commerce interlope clandestin tenu par des lords décadents, où l’ylang-ylang n’est pas le plus intéressant. Ces lords smugglers se livrent à une contrebande efficace d’objets exotiques on ne peut plus spéciaux, (du Liberty sous le manteau, si l’on veut) qu’on retrouve ensuite, acquis à prix d’or, dans des alcôves ou boxons encore plus spécialisés dans certaines pratiques…hem. 

  Adelia avait lors proposé aux jumelles qu’elles se cinglassent le dos à coups de trique, de tape-mouche, de cravache, de verges ou de fléaux chinois de Hongkong sur lesquels elles arrêtèrent leur choix. Ces objets asiates, appelés en japonais nunchakus, ressemblaient de fait à des fléaux à battre le blé, mais en réduction. Cependant, ils étaient chinois, car employés dans un art martial du cru, art qu’enseignaient des moines du douzième degré ou dan du monastère à bonzes dit Shaolin, qui arboraient comme tenue de combat une ceinture pourpre et noire nouée sur un kimono de soie. Nous savons qu’Elémir s’était inspiré pour les grades de Moesta et Errabunda, de ceux des arts martiaux de Cipango ou de Cathay. Le grade de Cléore correspondait de fait à celui du Supérieur de Shaolin ou Grand Maître. Les fléaux, pour eux, constituaient des armes de défense, non d’attaque, contre les rônins et bandits de grand chemin qui écument le Japon et la Chine. Importés par les Anglais depuis la guerre de l’opium, ils s’acclimatent désormais en France, pour l’us exclusif de certains lupanars pour lesquels la schlague s’est banalisée sous les assauts du raffinement de l’Aesthetic Movement. Ces fléaux sont noirs, fort durs, en un bois incorruptible, avec des chaînes d’acier. Ils nécessitent une souplesse, une dextérité et une promptitude de maniement nonpareilles. Il fallait croire que Daphné et Phoebé possédaient le don inné de la souffrance jouissive en manipulant ces choses. Elles se frappaient dorsalement l’une l’autre, à s’en rompre l’échine, multipliant les meurtrissures infâmes jusqu’à ce qu’elles fussent fourbues et s’effondrassent repues.

  Daphné et Phoebé avaient pareillement inventé le déshabillage pianistique : vêtues en petites filles modèles, sans qu’aucun ruban ne manquât à l’appel, elles entamaient des œuvres à quatre mains de messieurs César Franck, Gabriel Fauré et Emmanuel Chabrier, car fort ouvertes aux sonorités de la musique moderne. Seulement, elles passaient leur temps à taper à côté, sachant qu’une erreur de note signifiait ôter une touche du clavier et une pièce de leur toilette. On devine qu’elles multipliaient les bourdes et qu’il est de plus en plus délicat de jouer sur un piano dépouillé de plus en plus de touches. Cet effeuillage s’effectuait devant les Dames attentives et obsédées par ce dévoilement progressif des appas de nos nymphes. A ce régime allègre et burlesque, il était inévitable qu’elles achevassent leur leçon de musique en fort petite et suggestive tenue. Résultat de tout ce schproum, Daphné se retrouvait le bas du corps à l’air à l’exception du gainage soyeux de ses jambes enfantines, la gorge cependant encore couverte d’une ravissante brassière de lingerie en gaze et mousseline toute vaporeuse et transparente, découvrant en sus le nombril de la belle enfant, et qui ne cachait donc pas grand’chose. Quant à Phoebé, elle était nu-torse et nu-jambes, n’ayant plus sur elle que ses seuls bloomers fendus de tous les côtés, où là aussi, ce linge de plus-que-nue permettait de tout admirer de sa grâce pré-nubile. Les jumelles, accoutumées à l’étalage de leur anatomie, ne s’empourprèrent point. Par contre, leurs oreilles perçurent l’extase des clientes, leurs soupirs dérangeants. 

 Quand elles étaient lasses de tous ces petits jeux turpides, nos sœurs tribades se retiraient dans le fameux cabinet aux poupées, où Cléore entreposait les effigies de cire des pensionnaires, collection qui ne cessait lors de s’étoffer à chaque nouvelle arrivante. En ce musée Tussau qui instillait une impression de malaise, elles contemplaient leurs répliques tel un Narcisse son reflet, s’extasiant du rendu exact cireux de leur exquisité de craie blonde translucide, de la quintessence de leur peau de malades chlorotiques et leukémiques, où l’artiste sculpteur minutieux était parvenu à reproduire le réticulé des vaisseaux sanguins qui transparaissaient sous l’épiderme de leurs tempes de fillettes post-fœtales et au dos de leurs mains. Elles touchaient et caressaient les joues décolorées, humaient aussi l’odeur passée et pulvérulente des tissus sciemment vieillis des robes empesées de ces poupées, ces damas et brocarts étiolés de pruine. Elles regrettaient cependant que Cléore ne les eût pas vêtues en Salomé. Daphné était tout de même fascinée par sa réplique en Claude de France, reine fragile entre toutes, tandis que Phoebé mirait la sienne en Marguerite d’Autriche, comme si elle se fût elle-même contemplée dans une psyché. Or, pour ne point accentuer le trouble de la tromperie, tous les miroirs du cabinet aux poupées de cire étaient sans tain. En tâtant le dessous des jupes de Claude de France, Daphné constata qu’elle arborait un trousseau complet, puis, poussant son exploration plus avant, réalisa ô combien ces reproduction étaient réalistes : il ne leur manquait même pas le sexe. Alors, comme obéissant au signal d’Onan, nos deux gourgandines se livrèrent à une nouvelle forme de débauche sur leurs reflets de cire damassés. Relevant leurs robes, elles commencèrent à se frotter contre leurs statues avec extase et frénésie, pratiquant sur ces alter-egos inanimés une singulière forme de viol. Lorsqu’une autre visiteuse s’alla admirer ces effigies (il s’agissait de Sixtine), elle remarqua que Claude de France et Marguerite d’Autriche avaient leurs vêtements en désordre, plus passés que de coutume, et semblaient singulièrement empoissées, leurs visages particulièrement. Daphné et Phoebé s’étaient bel et bien livrées à des choses indescriptibles sur leurs autres elles-mêmes… 

  Fascinées par les choses d’Asie, par les traditions érotiques sino-japonaises, Daphné et Phoebé acquirent sur leurs propres deniers d’étonnants objets d’amour. Elles volèrent même à Dodgson son baguenaudier chinois. Le temps est donc venu d’évoquer au passage l’affaire du Traité des massages siamois attribué au roi Po-Khun Ramkhamhaeng dit Rama le Fort ou le Hardi (1239-1317), traduit en anglais par Richard Burton et en français par Elémir de la Bonnemaison, ouvrage maudit à l’origine de deux assassinats : le premier ministre Spencer Perceval et le dramaturge August von Kotzebue, sans oublier la polémique artistique sans fin entre Ruskin et Millais à propos de ses gravures, authentiques pour Millais, faux grossiers pour Ruskin, qui en attribuait la paternité à William Blake et à Füssli. Sans doute cette querelle dissimulait-elle un bas motif de jalousie. John Everett Millais, dont John Ruskin avait constitué le soutien critique après qu’il eut défendu Turner, avait en quelque sorte volé la femme du critique d’art, Effie Gray. On sous-entendait que l’aversion de Ruskin pour les phanères intimes abondants et proliférants de son épouse avait été l’une des causes profondes de la rupture de leur union. Le point commun entre Spencer Perceval, assassiné par John Bellingham en 1812 alors qu’il était chef du gouvernement de Sa Majesté (plus exactement du Régent George), et Kotzebue, dramaturge devenu espion au service du tsar Alexandre 1er, qui avait été occis par l’étudiant en théologie libéral Karl Ludwig Sand en 1819, outre leur mort violente, était constitué par la possession du manuscrit du Traité de Rama le Hardi non encore traduit de l’antique langue Môn, traité dont la nature érotique était des plus connues et que les assassins convoitaient. Ce fut pourquoi Daphné et Phoebé, nouvelle excentricité onéreuse, exigèrent de Cléore qu’elle recrutât une authentique masseuse siamoise qui appliquerait sur elles les différentes figures extraites des illustrations de cet ouvrage, dont elles avaient déniché dans la bibliothèque de l’Institution un des exemplaires de l’édition française. Cléore, trop magnanime, céda à leur caprice d’aristocrates maladives. Ce fut Elémir qui lui envoya la masseuse, qu’elle dut payer cinquante francs or la semaine. La comtesse de Cresseville, de même que Délia, ne se privèrent pas de tels services émollients. La jeune siamoise (seize ans à peine) exécuta les figures de massage XV, XVII, XXI, XXIII, XXX et XLI, réservées aux femmes aimant les femmes. Les jumelles apprécièrent en particulier la figure XXX, dont il vaut mieux taire par décence en quoi elle consistait. La jeune Asiatique officiante, dont le corps, très menu, était à peine plus formé que ceux de ses vicieuses clientes, gazouillait dans son dialecte natal intraduisible, où les l remplaçaient les r. Cependant, ses éructations extatiques, quant à elles, lorsqu’elle accomplissait les gestes émollients pour lesquels on la payait, s’avéraient compréhensibles dans toutes les langues terrestres. Inutile d’évoquer dans le détail toutes ces figures caressantes et voluptueuses aussi imaginatives les unes les autres : il est plus que temps d’accélérer pour celles et ceux qui s’impatientent de Nikola Tesla. 

 Nous savons qu’il existe plusieurs types de petits objets de plaisir que l’on nomme communément godemichés. Certains sont dits simples et permettent à une Dame seule de satisfaire ses envies sans l’intervention d’une tierce personne. Mais, dans le cadre d’une relation entre deux Dames s’aimant d’amour tendre, le choix existe entre objet simple permettant à la Dame qui joue le rôle du Monsieur à combler d’aise sa mie sans toutefois qu’elle-même en éprouve quelque jouissance, et objet double, qui aide à l’assouvissement mutuel du désir. Cependant, certains objets doubles s’avèrent spécialement conçus pour Dames seules adeptes des pratiques solitaires intégrales. 

  Daphné et Phoebé de Tourreil de Valpinçon avaient de si dépravées coutumes qu’elles ne savaient plus comment jouir à deux : bien renseignées par les innombrables traités de toute sorte qui encombraient les étagères des bibliothèques infernales de Cléore et d’Elémir, instruites aussi par Adelia, elles avaient réclamé à cor et à cri que la comtesse de Cresseville leur commandât un objet tout neuf et innovant : l’objet quadruple, usité en couple. On annonçait jà d’autres innovations venues d’Angleterre, pour des instruments toujours plus onéreux, mus à la fée électricité à l’aide de petites dynamos de monsieur Zénobe Gramme, de piles électriques de Volta ou même de systèmes de bobines de Ruhmkorff. Ces appareils, pluriels ou uniques, dont on disait que la reine elle-même en avait acquis un, devaient vibrer au sein sacré des pratiquantes de ce vice, ainsi transfigurées par le plaisir d’une manière non anagogique. Mais Cléore n’envisageait point d’acheter sous le boisseau de telles inventions anglo-saxonnes, au coût prohibitif, quelles que fussent les réclamations des deux gourgandines. Elles durent donc se contenter d’un simple objet quadruple primitif en acajou précieux, teck, jacaranda et divers autres bois tropicaux tendres composites, gainé d’authentiques peaux humaines viriles provenant de sauvages Papua ou Pahouin tués exprès lors de parties de chasse immorales, ces peuplades étant réputées pour l’exaspération de leurs sens. La perfection de ce tétra-membre exigeait que les grands chasseurs blancs au casque tropical en liège occisent leur proie au moment où l’optimum de l’excitation du mâle était atteint et qu’ils l’abattissent avant que l’acte fût assouvi. Pour cela, il fallait qu’ils usassent de femmes-chèvres, des sauvages entièrement nues, qu’ils plaçaient comme appâts.

  Dans une institution conçue pour perpétuer l’espèce des anandrynes, le refus de Daphné et Phoebé de n’aimer d’autres personnes qu’elles-mêmes comme on aime son reflet – ambivalence suprême – apparaissait à la semblance d’une pratique contre nature vouée à la stérilité. Singulière passion que celle-là, où chacune parvenait à s’accoupler en quelque sorte à elle-même, à ce reflet fait chair, à s’auto-satisfaire égoïstement en des rituels amoureux d’une inconcevable complexité, comble d’un raffinement érotique pervers qui marquait en son perfectionnement suprême l’apogée d’une civilisation vouée à l’art pour l’art, y compris dans ce qu’il a de plus trivial. Reflet…si semblable, si différent aussi de soi, si loin, si proche…
  En quelque sorte, Daphné et Phoebé, contemplatives vicieuses d’à peine désormais treize ans, étaient les plus novatrices d’entre les nouvelles anandrynes, bien qu’elles ne pussent avoir aucune postérité immédiate. Elles avaient inventé le plaisir solitaire à deux. L’une était l’autre, l’autre était soi, moi était elle, je était nous…jeux troublants sans cesse recommencés où la fusion des doubles engendrait une unicité plurielle et neuve…

  Après chaque emploi de leur jouet spécial, toutes deux exhalaient un fumet soufré des plus incommodants, mais propre à exercer une forte attraction sur les hommes, si toutefois nos poupées eussent été de la classique orientation sexuelle dite majoritaire. Ce fait est fort connu : la crasse et la fragrance des filles de joie attirent les messieurs comme l’aimant le fer, d’autant plus lorsque celles-ci sont d’âge encor tendre mais jà expertes. Elles jouent de leurs frous-frous, affichent leurs jupes sales, souillées et traînassantes avec ostentation. Déguenillées par leur vice, ces filles syphilitiques épandent leur contagion épidémique, pourrissant tous les cadres de la Gueuse qui les fréquentent avec assiduité. Ne sont-elles point elles-mêmes l’incarnation de cette Gueuse ?3 
 Heureusement pour elles, une déesse de la débauche semblait protéger les jumelles : elles ne mirent jamais la main sur le godemiché suprême, le seppuku de la geisha, car elles ignoraient la combinaison du coffre de Cléore, au contraire de Délie.

 Daphné et Phoebé n’étant que deux, elles n’eurent jamais à utiliser d’autres catégories plurielles d’objets d’amour permettant à trois, quatre, voire jusqu’à six ou douze dames de s’encanailler en groupes pour ne point écrire en grappes. Imaginez d’ailleurs une grappe de raisin à laquelle on a enlevé tous ses grains et vous pourrez vous faire une idée par exemple des penta, hexa, hepta, octo, ennéa, déca, hendéca et enfin dodéca-jouets avec deux modèles différents pour ce dernier godemiché : celui conçu pour six dames et celui pour douze. On annonçait la prochaine importation d’Angleterre d’un objet encore plus délirant et révolutionnaire : le triskaidéca-jouet, soit jusqu’à treize tribades ou catins enfourchées sur le même instrument. A ce rythme, on pourrait bientôt mettre en grappe tout l’escadron des filles de joie du Chabanais pour un spectacle saphique onaniste unique ! 
  Lorsqu’il plia bagage, Charles Dodgson s’aperçut que son baguenaudier avait disparu. Il songea d’évidence à un vol, mais ne put émettre aucun soupçon précis. « Bah, se dit-il, j’en acqu…acquerrai un au…autre. » Il ne conclut jamais à la culpabilité de Daphné et Phoebé qui profitèrent de ce petit larcin pour s’adonner à des expériences encore plus traumatisantes et exaltantes. Elles qui avaient l’habitude de lécher les blessures de leurs coups de fouet voire de s’amuser à s’arracher, parfois à coups de dents, des lambeaux de peau écorchés pendouillant de leurs plaies traumatiques, surent détourner le baguenaudier chinois pour le métamorphoser en inédit joujou. Le maniement de ce casse-tête nécessitait en temps ordinaire une habileté confondante ; ce que nos jumelles en firent eut quelque chose de presque surhumain, usage qui pouvait leur prodiguer des déchirures internes irréversibles voire létales. Elles ne l’expérimentèrent qu’une seule fois, et cela fut si douloureux et atroce que cela leur servit de leçon. 

  Une fois de plus, ce fut Phoebé que le sort désigna pour servir de consentant cobaye et de souffre-douleur. L’expérience du baguenaudier s’avéra si traumatique que la petite lamie fut victime d’une hémorragie conséquente, dont sa sœur empuse se régala, certes, mais à cause de laquelle elle dut demeurer un mois à l’infirmerie, son postérieur bandé après avoir subi une petite opération qui la mutila d’une partie de son intestin. Sur ces entrefaites, alors que nous étions en décembre 18**, Nikola Tesla arriva, mandaté par Cléore.


***************


 Lorsque Nikola Tesla arriva à Moesta et Errabunda, la tragédie d’Ursule Falconet venait de s’achever. 

  Nikola Tesla, ingénieur et scientifique serbe, était à la fois le collaborateur et le rival de Thomas Alva Edison, notre Prométhée des temps modernes, qui a donné au monde les extraordinaires inventions du phonographe à cylindre et de la lampe à incandescence. Tous deux se querellaient et s’affrontaient sans cesse sur des questions de paternité de brevets et d’idées scientifiques, en particulier la question épineuse de l’opposition entre courant alternatif, dont Monsieur Tesla était un chaud partisan, et courant continu, option soutenue par Monsieur Edison. Le self-made man, ainsi que les Anglo-saxons le qualifient, avait une conception pragmatique de la science et des inventions : la science devait être appliquée, pratique et surtout rentable car pourvoyeuse de profit. Nikola Tesla, quant à lui, vivait davantage pour un idéal scientiste à la Monsieur Jules Verne, quitte à jouer avec le feu : il rêvait de casser l’éther luminifère, d’en percer tous les secrets ; il avait assimilé toutes les lois de Faraday, la théorie atomiste de Démocrite, la thermodynamique de Carnot et son second principe entropique, l’électromagnétisme de Maxwell et son fameux démon qu’il jurait qu’il l’apprivoiserait. Pour lui, tout était simple : la chaleur produisait de l’énergie et c’est parce que la lampe avait un filament incandescent qui chauffait qu’il y avait de la lumière électrique. Nikola Tesla prédisait qu’un jour, on parviendrait à casser la mécanique newtonienne et la géométrie d’Euclide, à les synthétiser avec l’électromagnétisme et la production d’une énergie intense issue des pompes à feu de Carnot et des dynamos de Gramme. Il prévoyait qu’on briserait un jour prochain la structure même de l’atome, donc de la matière : l’atome selon lui, malgré l’étymologie du terme, n’était pas insécable. Pour l’heure, la rupture entre les deux bouillants inventeurs semblait irrévocable : Nikola Tesla avait claqué la porte d’Edison pour contracter avec Westinghouse.

  Cléore accueillit Tesla revêtue d’une toilette exotique d’une extravagance art pour l’art assumée : elle avait repris la vêture orientale du célèbre portrait de femme de Joseph Middleton Jopling, à l’exception des cymbales, remplacées par un tambour de basque aux bruyantes clochettes, à défaut de gong en bronze. C’était là une tenue polémogène, propre à susciter les interrogations voire l’hostilité, bien qu’elle ne constituât pas à proprement parler une invite à la fornication. Elle traduisait un refus profond de l’Occident dans ses aspects matérialistes industriels, au profit d’une vision exotique du monde vouée à la célébration de la beauté pour elle-même, dans ses aspects les plus contemplatifs. Cléore eût reçu l’ingénieur vêtue à la grecque ou à la pompéienne, comme dans les œuvres d’Albert Moore, qu’elle n’eût pas empêché l’exclamation émanant de la bouche de Tesla à la vue de cette éthérée excentrique : « Diable ! » 

  Cette robe de soie d’une pudicité affectée, du fait qu’elle enserrait l’impétrante jusqu’au cou, avait quelque aspect chamanique, d’une Chine archaïsante, venue des Trois Royaumes, à moins qu’elle n’évoquât les courtisanes de la cour hun, une Ildiko d’Attila ou tout autre personnage de l’époque des Empires Sassanide, du Kushan ou Gupta, avant qu’ils ne fussent attaqués par les Huns Hephtalites. Les broderies virtuoses recouvraient toute l’étoffe d’un bleu de roi pour les ignares, impérial de Chine pour les fins connaisseurs. Le motif du dragon et l’œillet ou Dianthus de Cathay marquaient ce vêtement de leur omniprésence. La toque céruléenne recouvrant les boucles rousses de la comtesse de Cresseville complétait ton sur ton ce déguisement bien qu’elle apportât une touche mandarinale et aulique de Cité interdite à l’ensemble. On eût pu, par quelque perversion, imaginer Cléore nue sous cette robe serrée qui parvenait à suggérer la volupté pulpeuse d’une gorge pourtant menue qui saillait malgré tout sous la moulante soie. En fait, la comtesse de Cresseville avait mis un corset fort ajusté et lacé sous cette tenue, ce qui permettait de faire accroire à ce qu’elle n’avait jamais eu. Elle avait multiplié bagues et boucles d’oreille en jade comme autant de parures typiques. 

  Curieuse, Daphné, esseulée, qui s’en revenait de visiter sa malheureuse sœur dont le protubérant et énorme pansement ornant son fondement meurtri faisait sur elle comme un pouf comique – quoiqu’il n’y eût absolument rien de risible dans l’affaire – commença comme à son habitude à sautiller sur ses bottillons guêtrés autour du visiteur en mendiant des bonbons et des sucres d’orge. Elle eût demandé à cueillir de la joubarbe en pleine mauvaise saison que c’eût été pareil. Tesla ne savait plus comment se débarrasser de ce cyclone vif-argent dont les rubans bleus et les anglaises s’agitaient sous les sautillements. Daphné babilla ses suppliques gourmandes en français, en anglais, en allemand, même en latin, toutes langues que le scientifique, polyglotte, comprenait et pratiquait, en bien prévenue catin censément au courant de la nature des inventions de l’ingénieur serbe puisque Cléore, Délie et Sarah l’avaient informée de cette visite dont le but était de superviser d’importants travaux d’aménagements électriques dans le domaine (et de créer la Mère, destinée à assurer la discipline allant lors à vau-l’eau et à incarner une sorte d’épouvantail pour les petites filles trop délurées portées désormais sur les plaisirs entre elles à défauts de ceux prodigués aux clientes). Dans la tête de Daphné, Tesla était un bien grand inventeur, qui à défaut d’Edison lui-même, serait le seul capable de concevoir des godemichés vibrionnants fonctionnant à la fée électricité.  Notre savant moustachu chassa cette jolie et agaçante mouche enrubannée d’un revers de la main, avant de commencer son entretien avec Cléore. 

Daphné s’alla lors quémander en échange une cajolerie à la comtesse de Cresseville, afin que celle-ci la consolât de sa déception. Loin pour une fois de céder à son ignominie, Cléore se saisit d’une férule et en frappa chaque main de l’enjôleuse empuse blondine sans que celle-ci eût grand mal ; au contraire, il sembla à Tesla que Daphné souriait sous les coups.
« Cet exemple vous démontre, ô combien, mon cher monsieur, que Moesta et Errabunda a grandement besoin de vos services. Il nous faut concevoir ensemble quelque épouvantail disciplinaire susceptible de calmer les tendances impulsives et peccamineuses de nos pensionnaires.
- Je comprrends », répondit l’ingénieur serbe dans un français un peu spécial aux rr redoublés. 

 Jamais en reste, la diabolique enfant revint une dernière fois à la charge, interrompant le dialogue sans nulle urbanité. Afin que Cléore la plaignît, elle toussa comme une cachexique tandis que ses grands yeux prenaient une expression languide. Elle opta pour le zézaiement qui l’infantilisait, ce qui prodiguait à ses paroles la valeur d’un discours de cacographe. 
« Ze vous en zupplie, Cléore ; ze voudrais zuste un tout tout petit cachou… »
  Ces mots furent tel un poudroiement de larmes de crocodile. Loin de céder, la comtesse de Cresseville avisa un petit carton sur lequel elle inscrivit au stylograph le mot italien bugiarda, ce qui signifiait menteuse. 
« Qu’est ceci, ma mie Cléore ? s’étonna Daphné. 
- C’est de l’italien. Cela veut dire que tu es punie et que tu dois faire comme dans Jane Eyre, t’aller porter ce petit panneau – non point par monts et par vaux, je n’irai pas jusque là – juste sous la gouttière de zinc qui coule dehors, à cause de la bonne pluie. Tu t’iras tremper toute, comme Sophie et Gribouille et montrer à toutes tes camarades que tu mens comme tu respires. Tu n’as point grand’faim. Tu ne fais que des caprices et tu es sotte comme une pécore à croire que je vais céder à tes avances foireuses. 
- Z’est inzuste, Cléore ! Mieux eût valu que vous me punissiez ! 
- Tu ne crains ni trique ni knout car ce sont tes sources de plaisir partagé ! Tu n’attends que cela de ma part. Hé bien, je ne te frapperai pas… ne sois pas penaude. Allez, va, va, c’est assez ! Va jouer ! » 
  Un bref instant, Daphné sembla solliciter une caresse de sa maîtresse sur sa joue diaphane auréolée de rose. Mais l’apposition d’un doigt contre la ciselure de ses lèvres pourprées lui signifia : « Point maintenant…une autre fois, peut-être. » Lors, l’enfant s’éclipsa, l’iris embué d’une tristezza propre aux filles consomptives qui se meurent à Venise en quêtant l’air de leurs bronches blessées. L’écho de ses talons bottinés résonna, doux et ferme à la fois, dans le couloir dallé en damier.
  
Tesla en demeura abasourdi. Qu’était-ce que ce pensionnat étrange où l’on punissait avec des pancartes écrites en italien alors que les châtiments corporels semblaient prodiguer du plaisir à celles qui les subissaient ?… Il songea à Sade et à d’autres auteurs où le fouet tenait lieu d’argument littéraire…
« Désolée pour ce contretemps, Monsieur Tesla. Cette gamine n’est que menterie et malice…sa sœur jumelle aussi…et vicieuse avec ça ! Elles se vautrent toutes deux dans une telle licence que… Encore heureux que Daphné n’ait pas relevé ses jupes afin d’exhiber ses dessous. C’est bien parce que vous êtes là et que vous êtes un homme. Elle ne fait cela qu’avec les Dames… 
- Diantrre !
- Si vous aviez été absent, Daphné se serait exprimée comme dans un roman licencieux du XVIIIe siècle. Elle apprécie fort la paillardise livresque, Sade, Restif de La Bretonne, Brantôme, Passereau et L’Arétin, notamment. »
Les paroles coquines de la comtesse firent rougir le savant serbe. Ce dernier connaissait certaines maisons closes new-yorkaises où, par pur voyeurisme, les clients se contentaient d’admirer, parfois deux heures durant, deux catins s’accoupler sans façon. 
 Mais la conversation prit lors un tour plus technique. 
« Je dois vous exposer, Monsieur Tesla, mes projets exacts concernant cette maison d’éducation des petites filles aux vertus de Sappho et Bilitis, maison qui doit s’ouvrir à la modernité. »
 Le savant n’en doutait plus : il allait œuvrer au service d’anandrynes mais sans aucun scrupule tant Cléore payait bien. Il émit une réflexion intrigante : 
« Vous avez fait en passant allusion à une sœurrr jumelle de votrrre Daphné…
- Oui, Phoebé. Fort mignonne certes, mais je ne vous la recommande aucunement. 
- Savez-vous que je songe à la duplication de l’être humain, à son transport instantané à distance par le biais des lois électromagnétiques de James Clerk Maxwell ? Imaginez un instant un prrestidigitateur, sorrte de Robert-Houdin, qui, usant d’une de mes inventions, parviendrait à dédoubler son ou sa comparrrse…cela créerait un extrrrraorrrdinaire prrestige pourr ce tourr de magie…
- Foin d’illusion, Monsieur. J’aurais besoin que vous inventassiez de quoi assurer l’ordre et la discipline en cette maison : vingt-deux filles, bientôt vingt-cinq, ça devient difficile à gérer. Elles se permettent trop. J’ai déjà décidé qu’on les séparera et qu’elles ne pourront dormir qu’à deux dans des chambres. Fini le dortoir commun où il se passe trop de turpitudes non théologales, d’attouchements entre vierges folles libidineuses juvéniles excitables et découvrant leur corps. La propriété est suffisamment vaste et le bâti bien pourvu aux étages en pièces aisément convertibles en chambres à coucher. Les lits, meubles et tout ce qui va avec sont d’ores et déjà commandés. Cependant, il faudra des compensations pour que l’Institution soit plus comfortable. Ainsi, nous devrons électrifier pas mal d’installations et améliorer le chauffage. Je souhaite créer une serre tropicale alimentée en bonne chaleur et de petits thermes à l’antique avec hypocauste… Nos gamines et nos clientes pourront s’y délasser… Quant à Daphné et Phoebé, j’avoue que leur santé m’embarrasse. Elles semblent ressentir un besoin perpétuel de sang frais. Elles souffrent peut-être d’anémie, de chlorose, ou de leukémia…que sais-je ? Que pourriez-vous essayer pour elles ? Sauvez-les. Bien que diablesses, elles ont droit à la vie… leur pitoyable joliesse…
- N’abusez pas du langage affété, Mademoiselle ; je sens bien que vous les adorrrez. Si vos petites jumelles sont si malades, il pourrait y avoirrr une solution : les trrransfuser, mais elles sont deux… oui…je vois…ce serrait forrrmidable…un apparreil électrrique ou magnétique de mon invention, qui perrrmetrrait une double trrransfusion simultanée des deux petites malades… la difficulté serra de trrrouver le donneurrr adéquat. L’existence de types de sang différrents relève pour l’heurre de la conjecturrre…4Quant au rrreste, cela fait beaucoup… En m’attelant sur-le-champ à la conception du tout, comptez bien, Mademoiselle la comtesse, trrrois mois de trrravaux. J’expliquerrai à Westinghouse que je suis sollicité pour une importante commande en Eurrrope et…
- Arrangez-vous pour que tout soit prêt avant la fin mars 18**.
- Entendu. Cela ne me laisse guèrre de temps. Mais je dois aussi concevoirrr votrre épouvantail à…
- …moinelles… Joli néologisme, n’est-ce pas ?
- Mes idées, Mademoiselle de Crrresseville, sont rrévolutionnairres. Ainsi, outrre votrre épouvantail, que j’entrrrevois commandé à distance, je vais conceptualiser une serrrre qui fonctionnerra à l’énerrgie du soleil.
- Je voudrais que l’objet de peur et de discipline ressemblât à…une Mère supérieure, vitriolée ou rongée par la lèpre…» interrompit Cléore.

  Adonc, laissons se poursuivre cette discussion ; les résultats des travaux de Nikola Tesla, ce génie contemporain, vous seront exposés dans un prochain chapitre. Je juge qu’il est lors temps de reprendre le cours interrompu de notre intrigue présente et principale, alors que les nuages, en la personne d’Hégésippe Allard, s’accumulent au-dessus de Moesta et Errabunda. 

Variation autour du mythe de Vénus de nos jours

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Les mythes sont éternels et à jamais renouvelables : nous proposons dans cet article de faire un petit panorama de la réactualisation du mythe de Vénus dans les domaines artistiques de nos jours – à savoir la musique électro, Photoshop et le cinéma. Le mythe de Vénus est adaptable d'époque en époque, il s'actualise parfaitement. Vénus est une représentation, celui d'un idéal ; elle est le symbole de la Femme, entre déesse et humaine, force et fragilité : la Femme est double, elle est représentations et être de chair.

MUSIQUE – Veneris Dies de Vendredi


VENDREDI-VENERIS-DIES
Veneris Dies est le premier Ep du groupe Vendredi, il est produit par le label indépendant NØ FØRMAT. L'album prend pour axe le jour vendredi (qui est d’ailleurs la traduction du titre latin de l’Ep) : par cette vénération du 5e jour de la semaine, le groupe Vendredi offre une lecture électrisante de la mythologie grecque et de Vénus.
Duo parisien formé de Pierre-Elie Robert et Charles Valentin, Vendredi développe tout un imaginaire autour de ce jour de semaine, et exploite notamment sa dimension mythique : vendredi est le jour associé à la déesse Vénus. Le sanglier de la couverture de l’album rappelle l’histoire tragique de la mort d’Adonis, tué par un sanglier sous le regard de sa bien-aimée, Vénus. Ce premier Ep fait l’objet d’un travail conséquent : tout est lié, tout a été pensé soigneusement. Vendredi compose son électro à partir de bruits naturels, d’instruments, et de voix qu’ils enregistrent eux-mêmes, les retravaille et les re-sample afin d’obtenir un artefact d’abstract hip-hop modernisé. Le duo revisite le mythe de Vénus et se l’approprie. La vidéo de leur morceau « Chiara » donne à voir une animalité féroce chez l’homme : la nature vient substituer à la blancheur des dieux et déesses, la terre et le sang. La vidéo de « Chiara » rappelle que Venus est la fille de Gaïa, déesse chthonienne de la création et de la terre à qui l'on sacrifiait des êtres de chair pâle. Chiara représente la force de sa descendance divine et la fragilité de sa condition d'humaine, contrainte aux nécessités du corps.


« Chiara » une vidéo fascinante, entre attraction et répulsion, beauté des corps et tuerie sauvage. Âmes sensibles s’abstenir.


Veneris Dies est un album concept : il est structuré et raconte une histoire, une vie, voire la vie. Il débute avec le titre « Naissance » et se termine avec « Venise », ville qui possède tout un imaginaire morbide construit par la mort de Richard Wagner à Venise et par la nouvelle Mort à Venise de Thomas Mann. Le morceau se termine d’ailleurs sur les tintements d’un clocher, ou, si l’on suit la logique, sur un glas, accompagné d’un curieux brouhaha de foule.

ARTS PLASTIQUES – Venus Projectd' Anna Utopia Giordano


Si Vénus est un lien évident avec l'Antiquité, les déesses et la création, aux origines de ce qui fait l'Homme, elle est aussi pour les arts plastiques la peinture des corps féminins et une représentation de l'idéalisation de la femme. Par son Venus projectAnna Utopia Giordano, artiste italienne, actualise les grandes représentations picturales de la déesse Vénus avec les normes de beauté de nos jours grâce aux techniques modernes de retouches d'images.

Vénus endormieArtemisia Gentileschi, Huile sur toile, (94 × 144.1 cm), Virginia Musuem of Fines Arts, 1625-30.
«Qu’est-ce qui serait arrivé si la norme esthétique de notre société avait appartenu à l'inconscient collectif des plus grands artistes du passé?»                                                                                                                                                     - Anna Utopia Giordano

Vénus endormie, retouché par Anna Utopia Giordano,  Venus project, 2011.

Par ce projet, l'artiste critique le monde contemporain et notamment les médias qui usent à outrance des techniques de retouches informatiques sur image pour vendre et diffuser une fausse perfection des corps féminins. Avec Photoshop, Anna Utopia Giordano reproduit les standards esthétiques que la société contemporaine projette dans les médias (et autres). Non seulement l'artiste critique la manipulation informatique de l'image, mais en outre la facticité même des corps : Anna Utopia Giordano fait subtilement apparaître une poitrine raide, bombée par une prothèse. Ce que les médias nous vendent, ce sont des corps d’adolescentes hyper-sexualisés, des Lolita plutôt que de véritables femmes : une représentation de la femme qui complexe tout autant les femmes que les hommes qui doivent alors être à la hauteur d'une perfection poussée aux extrêmes. 
Ce qu'il faut aussi comprendre par ce projet, c'est que les standards de beauté varient selon les époques : des membres hypertrophiés de la Vénus de Willendorf de l'époque Paléolithique à la femme svelte des 60's, de la beauté grecque des corps presque masculins à la jeune fille nubile du Moyen-Age, de la sophistication du Grand siècle à la mode garçonne des Années Folles, etc.  Car comme l'a dit Cocteau : la mode, c'est ce qui se démode.

CINÉMA – La Vénus à la fourrure de Roman Polanski


Vénus, c'est le mythe, reproduit en arts, mais c'est aussi la femme et son érotisation : de la Venus erotica d'Anaïs Nin à La Vénus à la fourrure de Sacher Masoch, la déesse est aussi synonyme du pouvoir sexuel de la femme.
La Vénus à la fourrure, tout comme Venus Project, dispose de nombreuses strates temporelles : du mythe antique de Vénus au tableau du Titien, du roman de Sacher-Masoch à la mise en scène théâtrale de David Ives, et au cinéma de Polanski.
Le film est adapté de la pièce de théâtre de David Ives, elle-même inspirée du roman de Sacher-Masoch. Le film est basé sur plusieurs mises en abyme, dont notamment celle  d'un metteur en scène (Thomas joué par Matthieu Amalric) qui adapte le roman en pièce de théâtre. Wanda (jouée par Emmanuelle Seigner), une actrice, arrive en retard lors du casting pour le rôle de Wanda Von Dunajew, la Vénus à la fourrure mais parvient tout de même à convaincre Thomas de faire un essai. Lorsque Wanda interprète le rôle de la Vénus à la fourrure, Thomas est extrêmement troublé : l'actrice Wanda devient déesse et domine Thomas, l'homme. Quand Wanda joue, c'est elle qui a le pouvoir, non seulement par son rôle, mais par sa manière de mener le jeu. Le rapport de force, la domination de l'homme par la femme telle que le présente le roman de Sacher-Masoch commence alors : Wanda se fait petit à petit metteur en scène et Thomas agit sous ses ordres.

Par son film, Polanski nous montre que, bien que la Vénus soit d'inspiration d'autres temps, elle vit toujours en la femme : Vénus est éternelle, elle n'est pas un mythe, mais une part même de la Femme.


Sacher-Masoch, qui est-il ? C’est le docteur Richard Von Krafft-Ebing qui crée le néologisme « masochisme » sur une dérivation du nom de Masoch et pour cause : le roman de Sacher-Masoch est l’un des premiers à décrire les amours passionnées d’un couple sous forme d’esclavage mutuel et consenti. Un autre visage de la cruauté fait jour: une cruauté contractuelle et mise en scène, contrôlée. Dans le roman (paru en 1870), le personnage Séverin voue une véritable admiration pour la déesse Vénus et adopte une attitude quelque peu fétichiste à l’égard d’une statue la représentant : il se rend régulièrement dans un jardin afin de baiser les pieds de sa bien-aimée de marbre. La rêverie de Séverin quant à la Vénus est nourrie de l’imaginaire amené par La Vénus au miroir du Titien dont un de ses amis en possède une représentation. On perçoit sur le tableau, le drapé de fourrure qui recouvrement chastement la Vénus. Séverin rencontre plus tard une femme, Wanda, qui le séduit par sa vision non-conventionnelle de l’amour, il transpose ainsi son adoration de la statue à Wanda. La relation Séverin/Wanda se conçoit plus sur la forme d’un contrat que celle d’un couple amoureux. Séverin précise dans le roman qu’il n’y a pas de sentiments amoureux à proprement parler, mais plutôt une soumission physique qui croît et devient presque essentielle. Complexe donc que cette relation contractuelle qui fait signer Séverin à consentir à toutes les humiliations infligées par Wanda, qui en échange doit respecter l’idéal féminin de Séverin et porter de la fourrure afin d’incarner la grande Catherine de Russie, cette Vénus du Nord. Voilà donc sommairement l’arrière plan littéraire qui sert de matrice au film de Roman Polanski.

Vénus au miroir, le Titien, Vers 1555. Huile sur toile, 124,5 × 105,4 cm. National Gallery of Art, Washington D.C.

Les créations de Délicate Distorsion

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Pour inaugurer cette rentrée de septembre, nous partons à la découverte de l'univers de Camille, alias Délicate Distorsion ! Cette jeune femme passionnée de dessin a créé depuis quelques années sa petite entreprise. Elle vend ses créations originales à la fois via internet et dans des boutiques (Lille, Paris). Camille fait imprimer ses dessins sur des sacs en tissu, des foulards, mais ceux-ci sont aussi tout simplement disponible à la vente (ça ferait joli dans votre salon, non ?). Voici donc son interview :



~ Bonjour Camille, tout d'abord, pourquoi ce pseudonyme : Délicate Distorsion ?

Bonjour Morgause :) J'aime l'idée d'appliquer un concept poétique, esthétique, à quelque chose qui ne l'est pas forcement au premier abord, et ainsi créer des entités singulières et mystérieuses. Les sensations de légèreté et de torsion ont toujours été les fils conducteurs du trait de mes dessins, qui se veulent très organiques et aériens. C'est le mariage peu conventionnel de ces deux impressions qui m'a inspiré "Délicate Distorsion".

~ Le dessin est-il une passion de longue date ? As-tu fait des études en ce sens ?

Ma pratique du dessin remonte à très loin en effet, et, de toutes les techniques, elle a toujours été celle avec laquelle j'ai été le plus à l'aise et su le mieux exprimer mon imaginaire. C'est assez naturellement que j'ai entrepris des études en arts graphiques afin de devenir graphiste (métier que je pratique aujourd'hui en parallèle de Délicate Distorsion), des années pendant lesquelles j'ai pu affiner et affirmer mon trait, et trouver mon propre style et univers, en plus de découvrir tous les autres métiers et techniques associés à la création, auxquels je peux faire aujourd'hui appel lorsque j'en ai besoin.



~ Ceux-ci décorent nombre d'objets : sacs, foulards, ou sont tout simplement prêts à l'encadrement. Est-ce une volonté consciente de faire vivre tes créations sur tant de supports ?

Exactement. Pendant des années mes dessins sont restés sur le support "classique" du papier ou des murs (voir juste enfermés dans mes cartons à dessins), et c'est en 2012 qu'est née l'envie de pouvoir faire circuler mes créations d'une autre manière, et d’expérimenter d'autres matières sur lesquelles mes illustrations pourraient interagir différemment. Il s'agissait alors de les faire sortir de ma zone de création pour qu'elles puissent "vivre" sous le regard des autres au quotidien, qu'ils se les approprient à leur manière, d'où l'idée de supports pratiques comme les accessoires de mode.

~ Question spéciale : tu créés également des tatouages éphémères, créés-tu spécialement pour le client ?

Pour le moment, les contraintes techniques m'obligent à produire quelques modèles fixes de tatouages éphémères sans pouvoir créer chaque unité sur mesure pour le client. Une contrainte qui, heureusement, ne vaut pas pour tous les produits, et selon la demande du client il est parfois possible d'établir une création de sac, de foulard, ou prête à encadrer, quasi sur mesure.



~ Quelle est ta relation avec le tatouage de façon générale ?

Il s'agit d'un univers qui me fascine depuis très longtemps, tant dans la technique, l'histoire culturelle (ancestrale et moderne) que les motifs que l'on peut y trouver. Il s'agit d'une source intarissable d'inspiration, un art en constante évolution, et le fait d'utiliser le corps comme support en tant que tel est pour moi quelque chose de très intéressant, l'organique entre dans toutes les lignes de compte. On me pose d'ailleurs souvent la question "Est-ce-que vous tatouez, également ?", un pas que je franchirai peut-être un jour... En attendant, j'ai pu déjà collaborer aux projets d'encrage de personnes qui me sont proches en leur dessinant leur propre modèle, un exercice que je prends plaisir à réaliser, souvent en étroite collaboration avec mon compagnon qui est lui-même tatoueur.

~ Ton univers fait très cabinet de curiosité, as-tu pour projet d'en ouvrir un vrai avec tes créations ?

C'est effectivement mon objectif, mon rêve serait de pouvoir ouvrir ma propre boutique tout à fait dans cet esprit là, réunissant tout type de créateurs autour de mes propres réalisations. En attendant de pouvoir concrétiser cette merveille, je tente de recréer en ligne, via mon e-shop Etsy (et bientôt sur la nouvelle version du site www.delicatedistorsion.com) et via des sites permettant de créer des planches d'inspirations comme Pinterest, cette ambiance si particulière. J'ai aussi choisi avec soin les endroits physiques dans lesquels certaines de mes créations sont distribuées, le plus souvent de belles boutiques, galeries, ou même salons de tatouage qui dégagent cet esprit particulier.

 



~ Les motifs récurrents sont très liés à la nature, vivante (insectes, fleurs, serpents, oiseaux) mais aussi nature morte (crânes) ! Pourquoi ?

Il s'agit de sujets qui m'ont toujours fascinée et que j'ai toujours aimé observer, car très simples et accessibles, et en même temps très complexes. La fascination de l'Homme pour la Nature a toujours donné lieu à de somptueuses représentations, dans tous les domaines, et j'avais à cœur d'apporter ma petite contribution et vision à ces images. Je pense qu'il est aussi important d'aborder les deux qui font partie d'un tout, célébrer la vie passe autant par la représentation du vivant que du mort, il n'y a pour moi rien de macabre à représenter ce dernier point, je prends même plaisir à le sublimer.

~ Quelles sont tes influences ? Je dirais déjà, les vanités dans la peinture...

Comme tu l'as évoqué précédemment, les vanités et les cabinets de curiosités sont d'une grande inspiration. De manière très large, je pioche mes idées un peu partout autour de moi ! J'aime arrêter mon attention sur de petits détails, on trouve toujours quelque chose d’intéressant... Et pour être plus précise, j'aime énormément les gravures anciennes (planches anatomiques, botaniques, naturalistes...), en particulier les illustrations de Gérard Lairesse et Ernst Haeckel, mais aussi les techniques modernes avec la photographie macro et les vues aériennes et spatiales qui offrent une autre vision des choses. Mes influences viennent plus généralement du domaine scientifique qu'artistique, même si à mes yeux les deux sont souvent difficilement dissociables...



~ Quels matériaux utilises-tu pour dessiner ?

Je dessine principalement à l'encre noire à l'aide de stylo technique très fin (type Rotring), parfois à la plume, sur du calque, un support qui permet de conférer légèreté et transparence à mes sujets. L'utilisation de l'ordinateur et des logiciels n'intervient que plus tard, lors de l'agencement des motifs ensemble et la préparation pour l'impression. Initialement, tout est bien dessiné uniquement à la main.

~ Enfin, quels sont tes projets pour cette rentrée ?

Une nouvelle version du site (avec une section achat) va voir le jour, je pourrai alors mieux y mettre en valeur toutes les nouvelles collaborations que je suis entrain de préparer avec plusieurs photographes et avec d'autres créatrices, ainsi que deux nouvelles collections avec des visuels et produits inédits. En plus de participer à différents salons, je vais également continuer à étendre le réseau des lieux qui accueillent mes créations, boutiques, concept stores, etc, mais aussi galeries, car j'ai à cœur de conserver l'aspect "artistique" de mon travail et j'aime exposer les originaux pour pouvoir montrer l'essence de Délicate Distorsion. Un programme bien chargé auquel j'ai hâte de m'attaquer !




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3, rue de la Grange aux Belles, Paris 10e
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3, rue Tholozé, Paris 18e
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3, rue Laget, Sanary-sur-Mer




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